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Full text of "Essai sur les comtes de Paris : au profit de l'oeuvre des Mères de Famille"

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ESSAI 


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AV    PPOriT 


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AllUï.  DE  VATON 


ESSAI 


SUR 


LES  COMTES  DE  PARIS 


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5  MRS 


llllp.  DF.DOUARI)    PROUX    KT    C', 
Rue  Neuve-des-Boii'ï-l'lufans ,  3. 


SUB 


AO    PBOFIT 


«^<?  €œu^l■'t€  c/ed  t^ym?êied  ae  /am/Ûe. 


paria- 


A  LA  LIBRAIRIE  DE  VATON, 

Û6 ,  RUE  DU  Bac. 

Chez  mesdames  Chassevent  et  Abel  ,  passage  Sajist-Roch  ,    40, 
et  a.  amiouapd  ,  quai  yoltaiîie  ,  21. 


1841 


sitmiF'j  JJ2  j>ji:ii:i^^ 


Monseigneur, 

Cest  avec  Vagrémenl  de  voire  auguste  mère  que  je  vous 
dédie  mon  Essai  sur  les  Comtes  de  Paris. 

Voire  nom,  en  couvrant  ce  livre  de  votre  protection,  lui  atti- 
rera infailliblement  cette  confiance  que  V anonyme  repousse ,  et 
consacrera  sa  propagation,  dont  le  fruit  matériel  est  destiné  à 
venir  au  secours  de  iCEuvre  des  Mères  de  faiidlle. 

Ainsi,  dès  votre  berceau ,  vous  serez  ,  Monseigneur,  associé 
aux  bienfaiteurs  de  Vhumanité  ;  la  pauvre  mère  bénira  et  fera 
bénir  à  toujours,  par  son  jeune  enfant  ,  Loui A-Philippe- 
Albert  d'Orléans^  comte  de  Paris. 

Prince,  la  bénédiction  du  pauvre  a  toujours  porté  bonheur  : 
et  vous  aussi  vous  serez  Marceliiis,  tl  Marcellls  eris. 


Je  suis  avec  un  profond  respect, 
Monseigneur, 
[>c  votre  Altesse  Royale , 
Le  1res  humble  et  très  obéissant  serviteur. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/essaisurlescomteOOdupr 


I^lSSAl 


SUR 


S  Di  PIRIS. 


PREMIERE  SÉRIE. 


^m^  ^<^m%èmM. 


Sommaire, 

Différences  qui  existent  entre  les  comtes  de  nos  jours  elles  comtes 
de  la  féodalité.  —  Motifs  qui  peuvent  nous  porter  à  nous  occu- 
per des  anciens  comtes,  et  en  particulier  des  comtes  de  Paris. 
—  Coup  d'oeil  sur  l'organisation  administrative  et  municipale 
des  Gaules,  à  l'époque  de  l'invasion. 


Il  existe  des  différences  profondes  entre  un  comte 
de  nos  jours  et  les  comtes  de  la  féodalité,  hauts  et 
puissans  seigneurs,  qui  savaient  faire  respecter  leur 
domination  de  leurs  serfs  et  de  leurs  vassaux,  et 
souventmême  la  rendaient  redoutable  au  suzerain. 
Leur  château,  assis  d'ordinaire  sur  le  penchant  de 
quelque  montagne  escarpée,  sillonnée  de  ravins  et 
de  précipices,  indiquait  assez  que  là  résidait  le  mal- 


—    (S 


trcdu  village  féodal,  dont  les  humbles  chaumières, 
élevées  de  distance  en  distance,  couvraient  au  loin 
la  campagne.  A  ces  tourelles  crénelées  qui  flan- 
quaient le  château,  à  ces  larges  fossés,  à  ces  ponts- 
levis  qui  en  défendaient  l'approche,  à  l'aspect  ter- 
rible des  mâchicoulis,  des  parapets,  des  chemins 
de  ronde,  des  armures  reluisantes  des  hommes  qui 
faisaient  le  guet,  on  reconnaissait  sans  peine  le 
théâtre  de  la  guerre  et  la  place  forte  derrière  la- 
quelle se  retranchait  la  féodalité. 

Rien  ne  désigne  aujourd'hui  au  passant  la  de- 
meure d'un  comte;  les  citadelles  du  moyen-âge 
(car  il  faut  bien  donner  ce  nom  aux  manoirs  féo- 
daux) se  sont  changées  en  fraîches  et  riantes  mai- 
sons de  campagne  où  tout  respire  le  luxe  ,  l'élé- 
gance, la  sécurité. 

Le  château  était  le  besoin  d'une  époque  de  vio- 
lence et  de  force  ;  je  n'imagine  pas  en  effet  que  les 
seigneurs  s'y  renfermassent  pour  leur  plaisir  :  la 
villa,  avec  sa  légèreté  et  sa  coquetterie,  convient  à 
un  siècle  où  régnent  le  droit  et  la  civilisation. 

Le  comte  de  la  féodalité  avait  sous  lui  des  serfs  , 
des  colons,  des  vassaux;  il  se  modelait  sur  les  rois 
pour  le  service  de  sa  maison  ,  et  sa  petite  cour  re- 
présentait l'organisation  du  palais  impérial;  il  avait 
un  référendaire  ,  un  sénéchal  ,  des  fauconniers  , 
des  échansons,  des  chambellans  ,  des  varlets  ,  des 
ccuyers,  etc.  Il  vivait  ainsi  magnifiquement,  occu- 
pant ses  loisirs  à  la  chasse  ,  aux  tournois  ,  à  la 
guerre.  Le  comte  do  nos  jours  n'a  plus  rien  de  cette 


vie  sociale,  toute  irrégulière,  toute  excej3tionnelle. 

L'un,  dans  son  fief,  était  souverain  ;  hors  de  là, 
dans  ses  courses  aventureuses,  il  conservait  encore 
tous  les  droits ,  tous  les  honneurs  de  la  naissance 
et  de  la  noblesse  ;  l'autre  n'a  plus  qu'un  titre  sans 
pouvoir  et  sans  privilèges. 

Ces  positions  sont  radicalement  distinctes,  mais 
ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  qu'il  nous  faille  rom- 
pre entièrement  avec  le  passé  ;  plus  la  société  ac- 
tuelle est  loin  du  moyen-âge,  plus  il  nous  importe, 
pour  apprécier  les  bienfaits  de  la  civilisation  mo- 
derne, de  nous  faire  une  idée  nette  et  exacte  de 
l'ancienne  situation  de  la  France;  or,  c'est  atteindre 
en  partie  ce  but  que  d'étudier  dans  sa  formation  et 
ses  développemens  un  fief  en  particulier.  Bien 
connaître  les  lois  générales  qui  ont  présidé  à  sa 
constitution,  c'est  expliquer  presque  l'introduction 
du  système  féodal,  car  l'origine  et  l'agrandissement 
de  toutes  les  seigneuries  présentent  des  caractères 
communs  ;  et  l'on  ne  peut,  du  reste,  faire  leur  his- 
toire sans  toucher  à  l'organisation  et  à  l'état  du 
pays  à  cette  époque. 

Un  intérêt  tout  particulier  se  rattachera,  ce  nous 
semble,  au  sujet  que  nous  traitons.  Les  Comtes 
de  Paris,  sous  la  seconde  race,  ne  furent  pas  seu- 
lement de  grands  seigneurs  féodaux  ,  ils  devinrent 
plus  d'une  fois  les  libérateurs  de  leur  patrie.  Leur 
influence  n'a  pas  été  locale,  circonscrite;  pendant 
plus  d'un  siècle,  de  8(56  à  987,  ils  ont  joué  le  prin- 
cipal rôle  dans  notre  histoire  ;  placés  à  côté  de  no.^ 


—  10  — 
rois,  ils  se  sont  tails  plus  grands  qu'eux.  Dans  la 
longue  durée  de  notre  monarchie  ,  trois  familles 
seulement  ont  pu  réaliser  à  leur  profit  ce  haut  de- 
gré de  puissance,  celle  des  Guise,  sous  la  dynastie 
des  Valois-Orléans;  celle  des  Pépin  d'Héristal , 
sous  la  race  Mérovingienne;  et  celle  de  Robert-le- 
Fort,  sous  les  descendans  de  Gharlemagne  :  ces 
deux  dernières  seules  ont  fini  par  absorber  la 
royauté. 

Enfin ,  puisque  le  titre  de  Comte  de  Paris  vient 
de  renaître  en  faveur  du  rejeton  d'une  auguste  fa- 
mille,  c'est  peut-être  faire  une  œuvre  utile,  une 
œuvre  agréable  au  public  parisien ,  que  de  lui  ap- 
prendre ce  qu'était  anciennement  le  fief  de  sa  ca- 
pitale, ce  qu'étaient  ses  possesseurs.  Aujourd'iiui 
le  titre,  il  est  vrai ,  n'est  plus  qu'honorifique  ;  mais, 
telle  est  d'ordinaire  l'exigence  des  hommes,  que 
bien  que  la  puissance  ne  soit  plus  la  même  ,  ils 
demandent  beaucoup  aux  héritiers  d'un  grand 
nom  ;  il  y  a  une  espèce  de  solidarité  entre  tous  ceux 
qui  portent  le  même  titre.  Noblesse  oblige ,  disait 
un  vieux  proverbe  ;  et  telle  est  encore  la  pensée 
qui  se  retrouve  dans  le  présent  de  cette  épée  que 
la  ville  de  Pans  a  fait  au  jeune  prince;  la  vertu  mi- 
litaire a  toujours  été  l'apanage  et  la  gloire  de  ses 
comtes.  Je  commence  par  l'origine  et  la  constitu- 
tion du  comté. 

Lorsque  les  Germains  eurent  pris  possession  des 
Gaules,  ils  trouvèrent,  répandu  sur  toute  la  sur- 
face du  territoire,  un  système  d'administration  ad- 


—  11  — 

mirable  dans  son  ensemble  el  puissant  par  son 
unité.  L'empire  dOccident  avait  été  divisé  en  deux 
grandes  préfectures,  les  Gaules  et  l'Italie.  La  pré- 
fecture des  Gaules  se  subdivisait  en  trois  diocèses 
qui  comprenaient  dix-sept  provinces.  A  la  tête  de 
la  préfecture,  se  trouvait  un  préfet  du  prétoire  rési- 
dant à  Trêves;  à  la  tête  de  chaque  diocèse  un  vi- 
caire ou  vice-préfet;  à  la  tête  de  chaque  province 
un  consulaire  ou  un  président.  Bien  plus,  chaque 
cité  avait  un  agent  du  gouvernement  ,  préfet  ou 
comte  chargé  de  veiller  aux  intérêts  du  pouvoir  qui 
le  déléguait,  et  de  présider  dans  certains  cas  à  l'ad- 
ministration de  la  justice.  Tous  ces  fonctionnaires, 
ainsi  échelonnés,  formaient  une  hiérarchie  dont  le 
sommet  était  à  Rome  dans  la  personne  de  l'empe- 
reur. Placé  là  comme  au  centre,  il  pouvait,  par  sa 
seule  volonté,  faire  mouvoir  sans  secousse  tous  les 
ressorts  de  ce  vaste  système. 

Dans  chaque  municipe  se  trouvait  une  autorité 
locale,  indépendante  en  général  du  pouvoir  admi- 
nistratif :  je  veux  parler  de  la  curie,  composée  des 
plus  riches  propriétaires.  Elle  gouvernait  réelle- 
ment le  municipe  au  moyen  :  1°  de  ses  duumvirs, 
dont  les  fonctions  étaient  analogues  à  celles  des 
consuls  romains;  2"  de  ses  principaux,  qui  for- 
maient le  conseil  actif  et  permanent  de  la  cité  ; 
8"  de  son  curateur  et  de  son  défenseur  de  la  cité. 
Tels  étaient  en  effet  les  principaux  magistrats  mu- 
nicipaux. 

Les  Barbares  ne  touchèrent  point  à  l'organisa- 


—   hi  — 

tion  romaine  ;  des  documens  nombreux  l'allés len(, 
et  les  auteurs  sont  unanimes  sur  ce  point. 

Le  roi  se  substitua  au  préfet  du  prétoire  ci  à 
l'empereur;  les  chefs  gennains,  sous  le  titre  de 
ducs,  de  comtes,  etc. ,  prirent  la  place  des  consu- 
laires, des  présidens,  des  préfets,  etc.  Quant  à  la 
ville  de  Paris,  la  conquête  dut  nécessairement  mo- 
dilier  sa  position  ;  son  rôle  n'avait  pas  été  très  bril- 
lant sous  les  Romains;  sa  forteresse  ou  chef-lieu, 
Lutèce,  n'avait  été  d'abord  ni  colonie  ni  métropole 
de  province  ,  et  ce  ne  fut  que  vers  la  fin  du  qua- 
trième siècle  que  sa  condition  politique  s'améliora 
et  qu'elle  devint  municipe.  Après  l'invasion,  Paris 
formait  le  centre  d'un  nouvel  État ,  le  siège  d'un 
monarque;  à  raison  de  ces  faits,  son  importance 
était  tout  autre.  La  cité  conserva  sa  conslitution 
municipale  ;  mais  par  la  présence  du  pouvoir  sou- 
verain l'action  gouvernementale  se  fit  sentir  avec 
bien  plus  de  force  ;  les  agens  du  gouvernement  de- 
vinrent plus  nombreux  et  acquirent  aussi  plus  de 
considération.  Tel  était  le  cours  nécessaire  des 
choses  ;  nous  n'en  citerons  qu'un  exemple  ,  qui  a 
trait  à  noire  sujet.  Nous  avons  déjà  dit  un  mot,  en 
passant,  de  ces  délégués  de  l'empereur  qui  avaient 
mission,  dans  chaque  municipe,  de  veiller  aux  in- 
térêts du  gouvernement;  leurs  fonctions  étaient 
semblables  à  celles  des  préfets  delà  ville  de  Rome  ; 
cependant,  dans  la  plupart  des  localités  qu'ils  gou- 
vernaient, ils  étaient  appelés  i)lutôl  comtes  que 
préfets.  Ce  dernier  tilre  paraissait  réservé  comm<' 


—  lô  — 
plus  honorifique  aux  préfets  de  Rome  et  de  Con- 
stantinople. 

Aussi  sous  les  rois  francs,  les  chefs  germains  qui 
furent  mis  à  la  tête  des  villes,  prirent  le  nom  de 
comtes;  mais  la  cité  de  Paris  eut,  à  l'instar  de  Rome 
et  de  Constantinople,  son  préfet  de  la  ville.  Ce  titre 
subsista  jusque  sous  le  règne  de  Clovis  II,  où  la  di- 
gnité de  comte  devint  si  considérable,  que  Erchi- 
noald  ou  Erchembaud,  préfet  de  Paris  en  665,  se 
fit  appeler  comte  de  Paris.  C'est  là  l'origine  du 
comté;  à  vrai  dire,  elle  remonte  au  berceau  de  no- 
tre monarchie,  car  tout  démontre  l'identité  des 
comtes  de  Paris  avec  les  préfets  de  la  ville.  Il  suffit, 
pour  s'en  convaincre,  de  jeter  les  yeux  sur  le  ta- 
bleau suivant  où  les  fonctions  des  comtes ,  telles 
qu 'elles  résultent  des  ordonnances  et  des  capitu- 
laires  de  nos  rois,  sont  mises  en  regard  avec  les 
attributions  du  préfet  décrites  dansloi Notitia  imperii 
Occident. 


TRÉFETS    DE    LA    VILLE. 

Le  préfet  delà  ville  connaît  de 
Ions  les  crimes  qui  se  coinmellenl 
dans  l'enceinte  de  Rome  et  dans 
la  circonf<3renee  du  100'"'  mille. 


11  est  charg«3  de  faire  réparer 
les  mursctles  bâtimens,  de  veil- 
ler à  l'entretien  des  édi lices  pu- 
blics, des  aqueducs,  des  rou- 
tes, etc.. 

Les  arts  s'exercent  sous  son  au- 
torité et  sous  sa  proteclion. 

Le  préfet  de  la  ville  veille  au 
«epos  public,  il  a  des  postes  di- 
stribués en  divers  endroits  poiu" 


COMTES. 

Cbarlemagne,  dans  un  capilu- 
laire  de  812,  veut  que  les  cente- 
uiers  ne  connaissent  point  des 
causes  où  il  s'agit  de  la  peiie  de 
la  vie  ou  de  la  liberté  (c'est  î» 
dire  des  crimes),  il  en  réserve  la 
connaissance  aux  comte:. 

Le  comte  doit  faire  entretenir 
et  réparer  lesbatimens,  lesgrands 
chemins,  les  ponts,  les  places 
publiques ,  etc. 

C'est  au  comte  ;\  maintenir  et 
à  protéger  le  commerce  et  les 
aris. 

Il  doit  faire  régner  la  paix  et  la 
han([uillité.  cl  veiller  ù  ce  que 
la  (itsripline  soit  si  Oi<n  observée 


—   14 


le  niaiiili<ni  do  l'oiclro.  (î'osi  à  lui 
qu'apparfioiit  la  polico  des  spec- 
lacles,  dos  marchés, etc.. 


Jl  a  sous  sa  protectiou  les  pu- 
pilles ,  les  esclaves  maltraités  par 
leurs  maîtres. 


en  toutes  choses ,  que  les  médians 
se  corrigent.  Chacun ,  dans  ce 
but,  doit  lui  prêter  main-forte, 
il  peut,  au  besoin,  requérir  les 
gens  du  roi. 

Le  comte  est  tenu  de  protéger 
les  pauvres,  les  veuves,  les  or- 
phelins ,  toutes  les  personnes  que 
leur  faiblesse  pourrait  exposer  à 
l'injure. 


L'identité  est  frappante,  mais  le  tableau  relatif  aux 
comtes  n'est  pas  complet  ;  nous   avons  à  dessein 
laissé  de  côté  :l°  les  droits  de  déclarer  la  guerre,  de 
battre  monnaie,  de  faire  des  lois,  etc.,  droits  qu'ils 
n'acquirent  que  plus  tard  ;  2°  le  droit  qu'ils  avaient 
de  percevoir  les  revenus,    de   lever  l'impôt  à  leur 
profit  dans  leur  gouvernement.  Ce  dernier  droit  est, 
dès  le  début  de  la  monarchie,  la  grande  ligne  de 
démarcation  qui  sépare  les  magistratures  germai- 
nes de  celles  de    Rome.    Ces  dernières  n'étaient 
composées  que  d'un  élément,  Vofficium,  la  charge; 
et  ceux  qui  en  étaient  investis  n'étaient   que  des 
fonctionnaires  recevant  un  salaire  fixe.  Les  magis- 
tratures des  Germains  comprenaient  deuxélémens, 
Vofficitim  proprement  dit,  et  le  beneflcium,  récom- 
pense que  les  Barbares  accordaient  à  leurs  compa- 
gnons. C'est  en  vertu  de  ce  dernier  élément  que 
les  ducs,  comtes  ou  barons  pouvaient  percevoir  les 
revenus  de  leurs  villes  ou  de  leurs  provinces;  car 
on  n'ignore  pas  qu'il   existait  primitivement  deux 
espèces  de   fiefs  :  1"  les  concessions  de  terres,  de 
domaines  en  toute  propriété  ;  2°  les  concessions  de 
charges,  de  dignités,  avec  les  droits  de  justice  et  de 
finance,  qui  devinrent  la  véritable  source  de  la  féo- 


—    lo  — 

dalité.  Les  deux  élémens  que  nous  avons  analysés 
plus  haut  ne  se  retrouvent  que  dans  cette  seconde 
espèce  de  fiefs  ;  et  c'est  pour  ne  pas  avoir  attenti- 
vement examiné  leur  nature  et  leurs  effets  que  des 
publicistes  d'un  grand  nom ,  entre  autres  Montes- 
quieu ,  ont  soutenu  que  d'abord  les  fiefs  furent  ré- 
vocables à  volonté,  qu'ensuite  les  rois  les  assurèrent 
pour  un  an,  et  après  les  donnèrent  pour  la  vie. 

L'élément  romain,  Vofficium,  était  révocable  de  sa 
nature  et  avait  ses  causes  particulières  de  révoca- 
tion, soit  dans  la  volonté  de  l'empereur,  soit  dans 
l'incapacité  du  fonctionnaire  ;  l'élément  germain  , 
le  beneficlum,  dérivant  des  liens  personnels  qui 
attachaient  le  compagnon  au  chef,  était  nécessai- 
rement à  vie  et  ne  pouvait  tomber  en  commise  , 
pour  me  servir  d'une  expression  féodale,  que  dans 
les  cas  où  cette  personnalité,  dans  les  relations  , 
venait  à  se  détruire;  ce  qui  avait  lieu,  par  exem- 
ple, lorsque  le  bénéficiaire  refusait  le  service  mili- 
taire. 

Mais  ces  deux  élémens  se  confondirent  tout  d'a- 
bord; le  mot  beneficium,  converti  plus  tard  en  celui 
de  feodum  ou  feudum  ,  devint  seul  en  usage  pour  ex- 
primer les  charges  dont  les  ducs  ou  comtes  étaient 
investis.  Dans  cette  fusion  l'idée  germaine  prévalut: 
il  s'ensuivit  que  des  dignités  qui,  par  les  fonc- 
tions qu'elles  entraînaient,  auraient  dû  être  révo- 
cables, furent  cependant  viagères.  Telle  est  la  con- 
séquence qui  résulte  de  la  véritable  notion  sur  la 
})ersonnalité  des  biens  entre  les  chefs  et  leurs  com- 


—  16  — 
pagnons ,  et  sur  les  récompenses  que  ceux-ci  pou- 
vaient recevoir.  «Le  serment  le  plus  sacré  des  com- 
pagnons, dit  Tacite,  est  de  défendre  leur  chel",  de 
le  garantir,  de  rapporter  même  leurs  belles  actions 
à  sa  gloire.  « 

Les  chefs  combattent  pour  la  victoire.  Les  com- 
pagnons pour  leur  chef...  En  échange,  celui-ci  leur 
donne  leur  cheval  de  bataille ,  et  celte  francisque 
si  terrible  et  si  meurtrière.  Pour  leur  tenir  lieu  de 
solde,  il  leur  fait  servir  de  grands  repas  dont  la 
chère  est  grossière  et  cependant  dispendieuse.  La 
guerre  et  le  pillage  fournissent  à  ses  libéralités. 
C'était  donc  des  récompenses  mobilières. 

Après  l'invasion ,  le  chef  leur  distribua  des  ter- 
res fertiles,  de  riches  domaines,  des  dignités  avec 
de  grands  revenus  ;  le  principe  des  récompenses 
est  le  même,  l'objet  seul  en  est  changé.  Le  chef 
germain  ne  devait  pas  exclure  de  son  cortège  le 
guerrier  mutilé  dans  les  combats  ,  ni  lui  retirer  ses 
bienfaits;  il  lui  était  beau  sans  doute  d'avoir  à  sa 
suite  un  glorieux  débris  de  la  victoire  ;  les  rois  bar- 
bares ne  durent  pas  ôter  le  bénéfice  à  leurs  leudes 
devenus  incapables  de  remplir  les  fonctions  qui  y 
étaient  attachées,  par  une  cause  qui  n'entraînait 
point  la  déchéance  du  fief.  On  nommait  alors  un 
délégué  chargé  d'administrer  à  la  place  du  duc  ou 
du  comte  incapable  ,  et  le  bénéfice  continuait  de 
résider  sur  la  tête  de  ce  dernier.  Pour  nous  borner 
à  notre  sujet,  on  ne  voit,  en  effet,  dans  une  assez 
longue  série  des  comtes  de  Paris,  aucun  exemple 


de  destitution.  Soanalchide  etGaîrefroy,  ou  Gérard, 
portent  les  armes  contre  Charles-Martel  ;  l'histoire 
ne  nous  dit  pas  que  ce  maire  tout  puissant  du  pa- 
lais les  ait  dépouillés  de  leur  bénéfice. 

Ces  prémisses  posées,  il  nous  est  facile  d'en  dé- 
duire la  nature  du  comté  de  Paris.  C'était  un  fief  de 
dignité,  viager  dans  son  origine  et  qui  le  fut  pendant 
la  plus  longue  durée  de  son  existence;  il  rentrait 
aussi  dans  la  classe  de  ces  fiefs  qu'on  appela  plus 
lard,  dans  la  langue  féodale,  fiefs  liges  ou  de  corps, 
par  opposition  aux  fiefs  simples.  Ceux-ci  n'entraî- 
naient qu'une  relation  purement  réelle  :  c'était  plu- 
tôt la  chose  que  la  personne  qui  se  trouvait  liée  ; 
ceux-là  renfermaient  un  double  lien,  dont  l'un 
réel,  l'autre  personnel;  c'est  de  ce  dernier  que 
découlent  les  obligations  de  service  et  de  défense 
du  seigneur. 

La  nature  du  fief  de  Paris  nous  conduit  à  la  con- 
naissance du  rang  qu'occupaient  les  comtes  dans 
la  société  gallo-fran(jue  et  de  leurs  rapports  avec 
nos  monarques.  Dans  l'Etat,  ils  étaient  de  grands 
dignitaires  ,  n'ayant  au  dessus  d'eux  que  les  comtes 
et  les  ducs  des  provinces;  dans  l'armée  (car  ils  de- 
vaient le  service  miliiaire),  ils  étaient  naturelle- 
ment les  chefs  ries  hiimmes  qu'ils  levaient  dans 
leur  comté  ,  sauf  toutefois  leur  subordination  au 
duc  ou  généralissime.  Par  rapport  au  monarque  ils 
rentraient  dans  la  classe  des  leudes ,  des  antrits- 
lions,  c'est  à  dire  de  ces  hommes  qui,  se  trouvant 
sous  la  garde  du  roi ,  in  truste  dominica ,  obtenaient 


—   IS  — 

par  là  certains  privilèges.  Mais  ces  privilèges  n'ai 
raiblissaienl  en  rien,  pour  les  tendes,  leurs  liens  de 
dépendance  el  de  subordination  à  l'égard  du  sou- 
verain. 

Dans  leurs  rapports  avec  la  cité,  les  comtes  de 
Paris  se  présentent  comme  administrateurs  el  ju- 
ges; disons  mieux,  comme  hauts  justiciers.  Leur 
pouvoir  administratif,  sans  qu'on  puisse  en  assi- 
gner l'étendue  ,  était  limité  nécessairement  par 
les  fonctions  de  la  curie,  institution  des  munici- 
pes  romains,  qui  ne  disparut  jamais  entièrement, 
et  dont  les  attributions ,  chose  assez  remarquable, 
étaient  remplies  à  Paris  par  le  collège  des  Naates. 

Leur  juridiction  se  trouvait  restreinte  par  la  ju- 
ridiction temporelle  qu'exerçaient  les  èvèques  dans 
les  causes  pécuniaires  et  séculières  qui  intéres- 
saient les  clercs  et  écoliers,  causes  qui  se  déci- 
daient ,  d'après  Brodeau  ,  suivant  les  iiz  et  coustumes 
de  l'escêché.  Il  y  avait  même  plus;  leur  bénéfice 
était  morcelé  par  la  puissance  de  l'évêque,  qui  pos- 
sédait le  tiers  du  comté,  et  cela  au  même  titre  que 
les  comtes  de  Paris,  qui  avaient  les  deux  autres  tiers. 
Le  siège  de  la  juridiction  épiscopale  était  au  Fort- 
l'Évêque. 

En  fait,  cet  état  de  choses  ne  subsista  que  jus- 
qu'à Robert-le-Fort  ;  en  droit,  il  se  perpétua  jusqu'à 
Hugues-le-Grand  ;  cependant,  dans  l'inleivalle  de 
celle  première  période  du  comté  de  Paris,  plusieurs 
seigneurs  avaient  acquis  ,  dans  leurs  provinces,  une 
véritable  indépendance.  Eudes,  duc  de  Toulouse, 


—  19  — 

avait  réduit  sous  son  autorité  presque  toute  l'Aqui- 
taine; la  Provence  échappait  à  la  couronne,  et  les 
Gascons  secouaient  le  joug  de  la  France. 

Il  n'est  donc  pas  sans  intérêt  de  rechercher  les 
causes  qui  retardèrent  le  développement  de  la 
puissance  des  comtes  et  leur  acheminement  à  la 
royauté. 

Et  d'abord  ,  leur  voisinage  même  du  trône  ne  les 
plaçait  pas  dans  des  conditions  favorables;  l'in- 
fluence du  roi  dominait  nécessairement  la  leur  :  le 
peuple  s'attache  d'ordinaire  à  ceux  qui  contribuent 
à  son  bonheur.  Or,  tous  les  bienfaits  paraissaient 
découler  du  trône ,  dont  le  comte  n'était  qu'un 
grand  dignitaire.  En  outre ,  malgré  son  rang  dans 
l'armée,  le  comte  de  Paris  n'était  point  réellement 
le  chef  militaire  des  guerriers  qu'il  convoquait  ; 
dans  l'origine,  c'était  le  roi;  plus  tard,  ce  furent 
les  maires  du  palais.  Et,  la  suprématie  militaire, 
est  une  des  conditions  de  tout  pouvoir  qui  s'agran- 
dit. 

Il  en  était  autrement  dans  les  provinces  éloignées; 
l'influence  des  comtes  et  des  ducs  était  bien  plus 
immédiate,  bien  plus  sentie.  On  perdait  d'autant 
plus  facilement  de  vue  le  souverain,  que  tout  ten- 
dait à  devenir  local.  En  effet,  les  deux  grandes 
sources  de  communications  parmi  les  hommes 
étaient  taries,  le  commerce  et  les  idées;  le  com- 
merce n'existait  plus;  les  idées,  elles  se  rétrécis- 
saient chaque  jour.  La  sphère  et  les  vues  de  l'indi- 
vidu se  bornaient  à  la  province  ,  à  la  commune. 


—  -2()  — 

D'ailleurs  dans  ce  pôle-mêle  dos  nations  sur  le  ter- 
ritoire des  Gaules,  il  y  avait  une  fluctuation  perpé- 
luelle,  un  mouvement  continu  d'atta(]ues  et  de  ré- 
sistances :  à  l'est  et  au  nord,  les  Germains  ;  au  sud, 
les  Visigoths;  à  l'ouest,  les  peuples  des  Armoriques. 
Or,  d'une  part  la  difliculté  des  routes,  que  les  bar- 
bares avaient  rompues;  la  lenteur  de  la  circulation 
des  nouvelles  et  la  difficulté  des  communications; 
et  de  l'autre,  la  non-permanence  des  armées  :  tous 
ces  inconvéniens  ne  permettaient  pas  au  roi  de  por- 
ter d'assez  prompts  secours  ;  de  sorte  que  les  comtes 
éloignés,  pour  mieux  prémunir  leurs  provinces  con- 
tre l'invasion,  devenaient  nécessairement  les  cliefs 
militaires  de  leurs  guerriers.  Ce  fut  un  fait  d'une 
haute  portée;  ils  s'attachèrent  par  là  le  peuple,  qui 
recevait  d'eux  et  la  justiceet  la  protection.  De  là  dé- 
rivent deux  conséquences  :  l'une,  que  les  provinces 
éloignées  durent  être  les  premières  à  se  iéodali- 
ser,  et  c'est  en  effet  ce  que  prouve  l'histoire  (en  rè- 
gle générale,  la  féodalité  partit  de  la  circonférence 
pour  aboutir  au  centre;  comme  aussi,  en  seiis  in- 
verse, la  royauté  gagna  du  centre  à  la  circonférence 
lorsqu'elle  entreprit  de  dissoudre  le  régime  féo- 
dal) ;  l'autre,  que  la  féodalité,  dans  son  origine,  fut 
le  plus  souvent  protectrice  ;  peu  de  pouvoirs,  en 
effet,  débutent  par  la  violence  et  l'oppression  :  De- 
n\s  à  Syracuse,  Gélon  à  Agrigonte,  avaient  été  les 
bienfaiteurs  de  leur  patrie  avant  d'en  devenir  les 
tyrans.  Le  régime  féodal,  à  l'époque  de  ses  plus 
grands  débordemens,  avait  pris  depuis  long-temps 


—  21  — 

possession  du  sol.  Au  reste,  pour  nous  résunier, 
disons  que  le  défaut  d'influence  immédiate,  el  la 
séparation  de  la  suprématie  militaire  d'avec  le  pou- 
voir judiciaire,  s'opposèrent,  entre  autres  causes 
efficaces,  à  l'élévation  des  comtes  de  Paris. 

Il  faut  compter,  parmi  ces  causes,  leur  incapacité 
personnelle,  qui  joua  un  assez  grand  rôle.  Pendant 
cette  longue  série  d'années  qui  s'écoulèrent  du  ber- 
ceau de  la  monarchie  àRobert-le-Fort,  aucun  d'eux 
n'apparut  avec  celle  supériorité  de  lalens ,  cette 
fécondité  de  ressources  et  d'intrigues  ,  cette  re- 
muante ambition  ,  qui  fondent  le  succès  d'un  usur- 
pateur; car,  s'il  est  vrai  que  les  circonstances  font  les 
grands  liommes ,  il  faut  bien  reconnaître  que  les 
grands  hommes  savent  susciter  les  circonstances. 
Nous  devons  tenir  comple  aussi  de  la  possession  via- 
gère du  fief.  Lne  puissance  n'est  stable  qu'autant 
qu'elle  se  base  sur  l'hérédité  :  l'usurpation  est  peu 
redoutable  lorsqu'elle  doit  périr  avec  l'usurpateur. 

Lne  cause  qui  contribua  plus  activement  à  main- 
tenir les  comtes  dans  un  élat  stationnaire,  ce  fut  la 
puissance  des  maires  du  palais.  Ils  se  présentent 
dans  l'histoire  comme  les  usufruitiers  de  l'autorité 
royale;  tout  à  la  fois  guerriers  habiles  et  politiques 
dangereux,  ils  aspirent,  dès  leur  naissance,  à  s'éle- 
ver au  dessus  du  monarque.  Leur  domination  in- 
quiète el  jalouse  n'aurait  pas  souffert  un  pouvoir 
rival  à  côté  d'eux;  les  comles  de  Paris  durent  alors 
s'effacer,  à  moins  de  se  sentir  le  courage  de  com- 
mencer une  lutte  incessante  et  terrible,  et  ce  cou- 


-t^ 


rage  leur  manqua.  L'on  sail  en  eflet  quels  hommes 
furent  ces  maires  du  palais. 

A  leur  tête,  est  le  farouche  Ebroin,  cet  adversaire 
infatigable  de  l'aristocratie  territoriale ,  lequel  cher- 
chait à  prendre  possession  du  sol  ;  ce  ministre  intri- 
gant qui  ne  reculait  pas  devant  la  perfidie  ou  le 
crime  pour  atteindre  son  but. 

Il  est  suivi  de  cette  famille  des  Pépin,  où  les  talens 
et  l'ambition  paraissaient  héréditaires ,  laquelle, 
après  avoir  envahi  la  Neustrie  ,  finit  par  s'asseoir 
sur  le  trône  de  France.  Sous  de  tels  hommes  l'u- 
surpation n'était  pas  possible;  elle  ne  le  fut  pas  da- 
vantage sous  les  deux  premiers  rois  de  la  race  car- 
lovingienne. 

Quoique  Pépin  eût  envahi  le  trône ,  et  qu'à  rai- 
son de  ce  fait  il  dût  ménager  les  seigneurs  ,  cepen- 
dant il  est  douteux  qu'il  fût  réellement  trailable  , 
car  il  s'était  promptement  afTermi  dans  sa  puis- 
sance, et  avait  effacé  les  anciens  souvenirs  en  don- 
nant à  sa  royauté  un  caractère  religieux. 

Quant  à  Charlemagne,  la  terreur  de  son  nom  , 
la  grandeur  de  son  mérite  personnel,  l'esprit  d'u- 
nité et  de  force  qu'il  imprimait  à  sa  puissance  ,  ne 
permettaient  pas  au  seigneur  le  plus  remuant  d'é- 
lever la  tète.  La  société  gallo-franque  qui,  jusqu'à 
lui,  avait  tendu  d'une  manière  irrésistible  à  sa  dis- 
solution ,  sembla  ressusciter  un  instant  et  revenir 
à  l'unité.  La  main  habile  et  ferme  de  ce  prince  savait 
faire  mouvoircette  vaste  organisation  administrative' 
et  municipale  (lontl'enjpereur  de  Rome  rï'avait  pas 


—  23  — 
laissé  le  secret  aux  rois  barbares.  Sous  lui  le  pouvoir 
central  acquit  beaucoup  d'action  et  d'énergie;  et  le 
pouvoir  local  dut  diminuer  proportionnellement. 
Mais  Charlemagne  mourut,  et  le  mouvement  gal- 
vanique, si  je  puis  parler  de  la  sorte,  qu'il  avait  im- 
primé à  la  société  vieillie,  ce  mouvement  cessa.  La 
féodalité  reparut  plus  active  et  plus  puissante;  car 
dans  la  longue  paix  intérieure  dont  Charlemagne 
avait  fait  jouir  l'empire,  elle  avait  eu  le  temps  de 
prendre  racine  dans  le  sol;  les  ducs,  les  comtes 
avaient  fait  passer  sans  secousse  ,  sans  qu'il  y  eût 
de  prétentions  rivales,  leurs  bénéfices  sur  la  tête  de 
leurs  enfans;  et  l'idée  de  succession,  de  pouvoir 
héréditaire  dans  une  famille  ,  se  présentait  aux 
peuples  comme  un  état  normal.  Dès  le  règne  de 
Louis-le-Débonnaire,  la  dissolution  de  l'empire  fut 
effrayante;  on  peut  en  juger  par  les  guerres  conti- 
nuelles de  ses  enfans,  qui  s'arrachaient  les  pro- 
vinces. Sous  Charles -le -Chauve  ,  le  mal  ne  lit 
qu'empirer;  Pépin  II,  en  Aquitaine,  et  Noménoé,  en 
Bretagne,  avaient  pris  le  titre  de  roi  ;  du  temps  de 
Louis-le  Gros,  nous  trouvons  sept  royaumes  consti- 
tués. L'autorité  royale,  dans  l'opinion  du  peuple,  et 
surtout  des  grands  vassaux,  diminuait  de  jour  en 
jour;  les  guerres  locales  recommençaient,  et  avec 
elles  l'instabilité  des  territoires ,  l'incertitude  des 
existences  :  tout  était  remis  en  question  comme  sous 
la  première  conquête;  c'était  le  moment  de  fon- 
der: les  seigneurs  en  prolitèrcnl.  Les  Normands, 
par  leurs  ravages  et  par  les  embarras  qu'ils  suscité- 


—  -24  — 

renl  à  nos  rois,  favorisèrent  encore  ce  développe- 
ment de  la  féodalité,  et  ils  devinrent  l'une  des  pre- 
mières causes  de  la  puissance  des  comtes  de  Paris. 

Pour  quelques  heureux  succès  qu'il  avait  obtenus 
sur  les  pirates,  Robert-le-Fortfut  comblé  de  riches- 
ses et  de  titres  ;  il  devint  comte  d'Anjou ,  marquis 
de  France,  et,  peu  de  temps  après,  duc  des  Fran- 
çais. Son  frère,  IIugues-l'Abbé ,  comte  de  Paris, 
héritier  de  sa  fortune  sur  les  Normands  ,  suc- 
céda à  sa  puissance;  elle  était  trop  étendue  pour 
qu'elle  n'engloutît  pas  une  royauté  chancelante  et 
avilie.  Aussi,  sous  Eudes  et  Robert,  leur  indépen- 
dance et  leur  ambition  ouvrirent  aux  comtes  de  Pa- 
ris un  chemin  vers  le  trône.  Cependant,  pour  cons- 
tater les  changenjens  survenus  dans  le  fief,  nous 
le  prendrons  tel  que  le  fit  Hugues-le-Grand.  Ce  fut 
sous  lui  que  la  fortune  des  comtes  atteignit  son 
maximum  d'élévation  ,  et  que  le  nouveau  caractère 
de  leur  position  dans  l'Etat  devint  plus  radical  et 
mieux  tranché. 

Nous  avons  vu  que  le  fief  primitif  de  la  capitale 
n'était  qu'un  fief  de  dignité,  viager  de  sa  nature  ; 
et  qu'à  la  fin  de  la  seconde  race  ces  caractères 
avaient  disparu.  Les  comtes  de  Paris  s'étaient  ren- 
dus de  véritables  souverains  ,  sans  néanmoins  en 
prendre  le  titre  ;  ils  en  exerçaient  les  droits , 
non  pas  seulement  dans  l'intérieur  de  leurs  fiefs, 
comme  le  firent  plus  tard  les  seigneurs  de  la 
féodalité,  mais  encore  de  fait,  dans  leurs  rela- 
tions extérieures.  De  même  qu'ils  battaient  mon- 


—  25  — 
noie ,  ils  déclaraient  la  guerre  et  contractaient 
des  alliances.  Ouvrez  l'histoire,  vous  verrez  Ro- 
bert ,  Hugues-le-Grand  s'allier,  non  pas  à  des  vas- 
sauxremuans,  dontla souveraineté  pouvaitêtre  mise 
en  question  ,  mais  avec  des  empereurs  de  Germa- 
nie. Par  l'hérédité  du  fief,  la  personnalité  des  liens 
entre  le  vassal  et  le  suzerain  s'était  affaiblie,  et  ce 
serment  de  foi  et  hommage  ,  qui  avait  pour  but  de 
le  perpétuer,  ne  remplaçait  pas  cette  ancienne 
investiture  que  les  rois  francs  conféraient  à  leurs 
leudes.  Par  contrecoup ,  les  obligations  qu'entraî- 
nait l'allégeance  se  relâchèrent;  une  fois  le  carac- 
tère de  personnalité  afî'aibli  dans  les  bénéfices, 
le  devoir  du  service  militaire,  le  devoir  de  défen- 
dre le  chef  ne  fut  plus  qu'un  vain  mot.  Dans  les 
forêts  de  la  Germanie  ,  aux  premiers  temps  de  la 
conquête,  l'état  des  mœurs  et  l'opinion  publique 
avaient  assez  de  force  pour  (ju'un  bénéficiaire 
n'essayât  pas  de  décliner  les  obligations  que  lui 
imposait  la  personnalité  de  son  bénéfice;  après, 
au  contraire,  que  la  féodalité  eût  été  constituée, 
les  services  personnels  ne  furent  rendus  qu'autant 
(|ue  le  suzerain  conservait  assez  de  puissance  pour 
les  exiger  de  son  vassal.  C'est  ce  qui  arriva  pour  les 
comtes  de  Paris.  Comme  ils  devinrent  plus  puis- 
sans  que  les  rois ,  nous  voyons  Hugues-le-Grand 
prêter  à  son  gré  main-forte  à  nos  monarques ,  ou 
les  laisser  guerroyer  avec  leurs  vassaux,  pen- 
dant que  lui  restait  tranquille  dans  ses  domaines. 
Or,  c'était  là   un»*  position   de  fait  et   non  pas  de 


—  "20  — 
droit,  car  tout  lien  personnel  n'était  pas  rompu. 

Mais  cette  position  de  fait  l'emporta,  et  l'on  vit 
peu  à  peu  se  clianger  la  nature  des  rapports  qui 
existaient  entre  le  souverain  et  les  comtes  de  Paris; 
ils  n'avaient  été  long-temps  que  des  leudes,  dont 
toute  la  grandeur  et  la  fortune  consistaient  dans 
la  protection  du  roi;  à  la  fin  de  la  seconde  race,  de 
protégés  ils  étaient  devenus  protecteurs  :  c'étaient 
nos  monarques  qui  se  trouvaient  vraiment  sous 
leur  garde,  in  truste.  Dans  l'armée,  ils  avaient  pris  le 
premier  rang  ;  il  n'y  avait  plus  de  maires  de  pa- 
lais pour  commander  les  troupes,  et  depuis  Cliar- 
les-le- Chauve,  les  descendans  de  Gharlemagne 
leur  avaient  définitivement  abandonné  la  conduite 
de  leurs  soldats. 

Ce  nouveau  rôle  modifia  nécessairement  leurs 
relations  avec  la  cité  :  d'administrateurs,  de  juges, 
ils  devinrent,  avant  tout,  des  chefs  militaires. 
C'est,  en  effet,  à  cette  époque  que  nous  voyons 
apparaître  des  vlcecotnites  ou  vicomtes ,  sur  les- 
({uels  ils  se  déchargèrent  des  soins  de  l'administra- 
tion et  de  l'exercice  de  la  justice.  Le  premier  que 
l'histoire  mentionne  est  Grimold,  en  900  ;  nous 
connaissons  encore  quelques  uns  d'entre  eux  , 
comme  ïeudon  ,  dans  les  années  9*2(5  et  927,  et 
Burchard,  comte  de  Mehm,  en  981. 

Quant  à  leur  juridiction  ,  ses  limites  dans  l'in- 
lerieur  de  Paris  ne  changèrent  pas;  les  évoques 
«'ontinuèrcnt  d'exercer  leur  autorité,  car  nulle 
pari  il  n'est  lait  mention  (jue  liugues-le-Grand  , 


—  27  — 
quelque  indépendant  qu'il  t^t  et  des  rois  et  du 
clergé ,  eût  porté  atteinte  aux  privilèges  do  l'E- 
glise ;  et  pour  son  fds  ,  Hugues  Capet,  son  pen- 
chant bien  connu  à  favoriser  le  clergé  ne  permet 
pas  même  de  supposer  qu'il  ait  voulu  restreindre 
la  puissance  de  l'évêque.  Mais  ,  à  l'extérieur,  leur 
juridiction  eut  un  ressort  bien  plus  étendu.  Il 
n'est  pas  facile  d'en  assigner  les  bornes  ;  je  crois 
que  le  guide  le  plus  sûr  en  cette  matière  serait  la 
carte  de  la  vicomte  de  Paris,  telle  que  l'ont  établie 
nos  anciens  auteurs  coutumiers.  Perrière  donne 
pour  bornes  à  cette  vicomte,  au  nord  la  Picardie,  à 
l'est  la  Champagne,  au  sud  l'Orléanais,  et  à  l'ouest 
la  Normandie.  L'agrandissement  des  comtes  et 
leur  nouvelle  position  à  l'égard  des  monarques 
devaient  amener  la  ruine  de  la  royauté,  et  l'ame- 
nèrent en  effet.  C'est  cette  révolution  qu'il  nous 
reste  à  expliquer. 

Nous  avons  vu  successivement  disparaître  toutes 
les  causes  qui ,  durant  la  période  mérovingienne 
et  pendant  la  première  partie  de  la  seconde  race , 
avaient  opposé  des  barrières  à  l'ambition  des 
comtes.  L'hérédité  s'établit  dans  le  fief:  Hugues- 
le-Grand  la  ravit  à  la  faiblesse  de  nos  rois;  le 
comté  de  Paris  doit  se  perpétuer  dans  sa  famille , 
jusqu'à  ce  que,  par  défaut  d'hoirs  maies,  il  fasse, 
réversion  àla  couronne.  Les  maires  du  palais  finis- 
sent avec  l'élévation  des  Pépin  au  trône.  Celte  fa- 
mille donne  deux  grands  rois  à  la  France  ,  Pepin- 
le-Bref  et  Charlemagnc.  Celui-ci  surtout,  par  son 


—  28  — 
autorité  absolue  et  la  centralisation  du  pouvoir 
souverain,  força  la  féodalité  à  rester  stationnaire, 
et  rendit  un  instant  l'esprit  d'unité  à  la  vieille  so- 
ciété gallo-franque ,  qui  tendait  de  toutes  parts 
à  se  dissoudre.  Mais  son  ouvrage  périt  avec  lui; 
l'esprit  humain  n'était  pas  prêt  pour  une  consti- 
tution large  et  complexe.  Il  était  plus  facile  d'or- 
ganiser un  petit  Klat  ;  le  fractionnement  de  la 
société  se  prêtait  donc  aux  idées  et  à  la  force  in- 
tellectuelle de  cette  époque  :  aussi  rien  ne  put 
l'empêcher.  11  était  d'ailleurs  favorisé  par  la  di- 
versité des  races  qui  se  croisaient  sur  le  terri- 
toire de  la  Gaule,  et  qui  devaient  tendre,  d'une 
manière  irrésistible,  à  se  grouper  selon  leur  na- 
ture. Une  main  puissante  seule  aurait  pu  main- 
tenir à  l'état  d'agrégation  ces  élémens  hétéro- 
gènes, ces  races  diverses,  qu'une  répulsion  secrète 
portait  à  s'isoler;  il  aurait  fallu  une  force  armée 
considérable  ;  et  l'on  sait,  d'une  part,  quels  furent 
les  descendans  de  Charlemagne,  et  de  l'autre,  ainsi 
que  les  succès  des  Normands  l'attestent,  à  quel  point 
la  France  était  pauvre  en  guerriers.  Comme  tous  les 
seigneurs,  les  comtes  de  Paris  tirèrent  profit  de  cette 
dissolution  nécessaire  de  l'empire.  Mais  l'incapa- 
cité des  descendans  de  Charlemagne  dans  l'art  de  la 
guerre,  servit  encore  mieux  leursvues  ambitieuses. 
Placés  auprès  du  trône,  ils  succédèrent  naturel- 
lement à  ce  pouvoir  militaire  des  rois,  et  en  même 
temps  à  l'influence  que  donnent  les  armes.  Ce  fut 
là  un  coup  funeste  [)orté  à  la  royauté  ;  cl  (|uoiqu'elle 


—  29  — 

eût  cessé  depuis  long- temps  d'être  purement  mili- 
taire, cependant  Pépée  était  le  plus  sûr  moyen 
d'imposer  à  des  seigneurs  turbulens  et  guerriers. 
Aussi,  dès  ce  moment,  les  comtes  de  Paris  n'eurent 
pas  de  peine  à  faire  confirmer  leurs  usurpations 
et  à  arracher  sans  cesse  de  nouvelles  concessions  à 
la  faiblesse  de  nos  monarques.  Maîtres ,  comme 
ducs  de  France,  de  tout  le  pays  qui  s'étendait  entre 
la  Seine  et  la  Meuse,  et,  sous  le  titre  de  ducsdeNeus- 
trie,  possesseurs  du  territoire  compris  entre  la  Seine 
et  la  Loire,  jusques  aux  frontières  de  la  Normandie 
et  de  la  Bretagne,  ils  prétendaient  en  outre  au  duché 
de  Bourgogne  ;  ils  avaient  ainsi  sous  eux  une  foule 
nombreuse  de  vassaux,  qui  redoutaient  bien  plus 
leur  puissance  qu'ils  ne  s'inquiétaient  de  la  su- 
zeraineté du  roi.  Ils  relevaient  en  effet  immédiate- 
ment des  comtes,  qui  eux-mêmes  reconnaissaient 
en  droit  l'autorité  du  monarque  ,  mais  qui  la  fou- 
laient aux  pieds,  sans  scrupule  et  sans  crainte, 
lorsqu'il  s'agissait  de  leurs  intérêts.  Les  comtes 
avaient  une  armée  pour  se  faire  obéir;  les  rois,  ne 
possédant  plus  de  fiefs  en  propre  à  la  fin  du  x*  siè- 
cle, étaient  à  la  merci  de  leurs  vassaux,  qui,  selon 
leursvues  et  leur  ambition,  prenaient  cause  pour  le 
souverain,  ou  demeuraient  oisifs  dans  leurs  terres. 
Dans  de  telles  circonstances,  la  royauté  était  au 
fond  plus  nominale  que  réelle  ;  elle  ne  pouvait  vivre 
à  de  semblables  conditions,  et  elle  ne  vécut  pas  ; 
elle  s'éteignit  et  se  déplaça  sans  secousse.  Pour  qui- 
conque médite  sur  l'histoire  de  ces  temps,  l'avène- 


—  -■)(»  — 

inenl  de  Hugues  Clapet  lui  paraît  bien  plutôt  une 
succession  au  trône  qu'une  révolution,  tant  lu 
lamille  de  Uobert-le-Fort  trouva  de  facilité  à  s'em- 
parer de  la  couronne.  Deux  faits  expliquent,  du 
reste,  clairement  son  élévation.  Le  premier  est  que 
Hugues  Gapet  n'acquit  aucun  accroissement  réel  do 
puissance;  son  titre  seul  fut  changé  :  il  était  comte 
de  Paris  et  duc  des  Français,  il  s'intitula  roi  de 
France  ;  et  le  royaume  ne  se  composa  en  eft'et  que 
des  provinces  qu'il  gouvernait  et  comme  duc  et 
comme  comte. 

Le  second  est  que  les  seigneurs  avaient  intérêt 
à  créer  un  monarque  de  leur  choix.  Ne  perdons 
pas  de  vue  que  lex^  siècle  fut  une  époque  de  disso- 
lution de  l'empire, 'par  suite  d'usurj)alion  ;  par  rap- 
port aux  descendans  de  Charlemagne,  les  grands 
seigneurs  se  trouvaient  dans  la  position  d'un 
homme  qui  s'est  emparé  du  champ  de  son  voisin  , 
et  qui,  chaque  jour,  peut  craindre  la  revendica- 
tion. Au  contraire,  comme  l'a  dit  un  célèbre  pu- 
bUcisle  de  nos  jours  (1),  Hugues,  le  comte  de  Paris, 
n'était  point  dans  la  situation  des  successeurs  de 
Charlemagne  ;  ses  ancêtres  n'avaient  point  été  rois, 
empereurs,  souverains  de  tout  le  territoire  ;  les  grands 
possesseurs  de  fiefs  n'avaient  pas  été  ses  officiers  ou 
ses  bénéficiers;  il  était  l'un  d'cntr  eux  ,  sorti  de  leurs 
rangs,  jusque  là  leur  égal  ;  ce  titre  de  roi  qu'il  s'ap- 
propriait pouvait  leur  déplaire  ,   mais  non  leur  porter 

(1)  (iuiz)!.  Hhloire  de  la  civilisaliou  en  Fraucc., 


sérieusement  ombrage.  Ce  qui  portail  ombrage  dans 
la  royauté  cartovingienne,  c'étaient  ses  souvenirs,  son 
passé.  Hugues  Capet  ri  avait  point  de  souvenirs,  point 
dépassé.  C'était  un  roi  parvenu,  en  harmonie  at^ec  une 
société  renouvelée. 

Aussi  l'avènement  de  Hugues  Capet  fut-il  une 
véritable  transaction.  La  clause  tacite,  du  côté  des 
seigneurs,  fut  celle-ci  :  Toute  usurpation  faite Jus- 
(juà  ce  jour  est  confirmée.  La  royauté  naissante  sti- 
pula :  i°  Que  chaque  seigneur  lui  prêterait  foi  et 
hommage  ;  2°  Qu'à  défaut  d'hoirs  mâles,  les  fiefs  re- 
tourneraient à  la  couronne. 

Peut-être  aussi ,  du  reste ,  l'élévation  des  Capet 
fut-elle  favorisée  par  le  mouvement  de  l'opinion  na- 
tionale. 

On  peut  considérei',  jusqu'à  un  certain  point,  la 
fortune  et  la  grandeur  des  Pépin  comme  une  se- 
conde invasion  de  la  Germanie.  Ce  fut  après  la  ba- 
taille de  Testri,  et  à  la  tête  d'une  armée  victo- 
rieuse, que  Pépin  se  fit  nommer  maire  de  Neuslrie 
ctde Bourgogne:  il  s'imposa  donc  à  la  société  gallo- 
franque.  Il  faut  bien  le  reconnaître,  il  y  avait, 
sous  le  rapport  desmœurs,  de  la  langue,  des  usages, 
un  intervalle  immense  entre  l'Austrasie  et  la 
Neustrie.  Les  Francs-Neustriens  s'étaient  promple- 
ment  incorporés  avec  les  Gallo-Romains  ;  ils  étaient 
avec  ceux-ci  dans  le  même  état  moral  et  politique; 
au  contraire  les  Francs-Austrasiens  avaient  conservé 
presqu'inlacte  leur  ancienne  barbarie,  ils  étaient 
beaucoup  plus  Germains.  On  conçoit,  dès  lors,  la 


—   TA 


lendnnce  de  la  société  galio-franqiie  à  servir  l'am- 
bition des  princes  dont  l'origine  était  nationale. 

Le  plus  grand  obstacle  que  les  descendans  de 
Robert-le-Fort  rencontrèrent,  ce  fut  le  principe  de 
la  légitimité.  Nous  le  trouvons  sous  la  première  dy- 
nastie, mais  avec  moins  d'ascendant  moral;  il  était 
né  de  la  royauté  religieuse  nationale ,  ou  si  l'on 
veut  de  ces  croyances  populaires  qui  attribuaient 
à  certaines  familles  issues  des  anciens  héros  ,  des 
demi-dieux  barbares  ,  une  prééminence  hérédi- 
taire. Il  se  perpétua  sous  la  race  carlovingienne  , 
mais  alors  il  changea  de  base  et  s'appuya  sur  une 
idée  purement  chrétienne  :  celle  qui  faisait  du  mo- 
narque un  représentant  de  la  divinité.  Cet  ancien 
caractère  protégea  long-temps  les  descendants  de 
Charlemagne  etsurvécut  à  leur  faiblesse,  et  même 
à  leur  ruine.  Je  n'en  veux  d'autre  preuve  que  le  pas- 
sage tiré  de  la  Chronique  de  Saint-Bertin  :  Ainsi  in 
couronne  de  France  échappa  à  la  race  de  Charles-le- 
Grand  y  mais  elle  lui  revint  dans  la  suite  de  la  façon 
que  voici:  Charles  de  Lorraine,  qui  mourut  en  prison 
[à  Orléans,  en  992)  ,  eut  deux  fils,  Louis  et  Charles, 
et  deux  fdles,  Hermengarde  et  Gerberge.  La  première 
épousa  le  comte  de  Namur.  De  sa  descendance  naquit 
Baudoin,  comte  de  Hainaut,  qui  eut  pour  femme  Mar- 
guerite ,  sœur  de  Philippe ,  comte  de  Flandre  ;  leur 
fille  Elisabeth  épousa  Philippe  II,  roi  des  Français, 
qui  en  eut  pour  /ils  Louis  ,  son  successeur  dans  le 
royaume,  duquel  sont  descendus  depuis  tous  les  rois 
des  Français.  Ainsi  il  est  constant  que,  dans  la  per- 


—  55  — 
sonne  de  ce  Louis ,  tt  du  côté  de  sa  mère  ,  le  royaume 
revint  à  la  race  de  Chariema^ne.  Et  c'était  trois  siè- 
cles après  la  chute  de  la  dynastie  carlovingienne 
que  les  esprits  subissaient  encore  l'influence  de  ce 
principe  de  la  légitimité.  Hugues  lui-même  parut 
respecter  le  préjugé ,  et  douter  de  son  droit  à  la 
couronne,  s'il  faut  en  croire  un  chroniqueur,  qui 
nous  rapporte  que  Hugues  posséda  neuf  ans  le 
royaume,  sans  pouvoir  toutefois  porter  te  diadème. 
Et  cependant  il  employa  le  moyen  le  plus  efficace 
pour  ruiner  la  légitimité  dans  sa  base  :  ce  fut  de  s'al- 
lier avec  le  clergé.  Ce  principe  était  le  résultat  du 
christianisme  et  surtout  l'œuvre  de  l'Eglise,  qui  en 
avait  accrédité  et  propagé  la  croyance.  Ce  qu'elle 
avait  fait  pour  Pépin  et  ses  descendans  ,  elle  pouvait 
le  faire  pour  la  dynastie  capétienne;  Hugues  le  sentit 
et  s'appliqua  à  gagner  le  clergé,  pour  qu'il  déplaçât 
la  légitimité,  en  la  transportant  dans  sa  famille. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Hugues  Gapet  prit  la  cou- 
ronne en  987,  et  réalisa  pour  toujours  cette  fusion 
nécessaire  delà  puissance  des  comtes  de  Paris  avec 
la  royauté.  Le  comté  ne  s'éteignit  pas  cependant; 
le  fief  n'était  réversible  à  la  couronne  qu'à  défaut 
d'héritiers  mâles;  mais  les  comtes  de  Paris  n'eurent 
plus  à  jouer  ce  rôle  imj)ortant  qu'ils  s'étaient  attri- 
bué sous  la  seconde  race.  Le  pouvoir  militaire  leur 
fut  ôté ,  et  ils  rentrèrent  dans  leurs  attributions 
primitives,  c'est  à  dire  dans  l'administration  do 
ia  cité  et  l'exercice  de  la  juslice  :  ils  échappent 
dès  lors  aux  regards  de  l'historien.  Au  reste  ,  tout 


—  54  — 

poric   à   croire   qu'ils    avaient    élé    clkoisis   parmi 
les  princrs  mêmes  de  la  famille  royale.  Odon ,  le 
dernier  comle  dont  il  soit  fait  mention,  était  parent 
du  roi;    il  mourut  sans  enfans  sous  le   règne  de 
Henri  ï" ,  en  10S2,  et  l'inféodation  de  la  capitale 
finit  avec  lui.  Quoique   depuis   Hugues  Capet  les 
comtes  de  Paris  n'eussent  plus  la  puissance  de  leurs 
prédécesseurs ,  et  qu'ils  fussent  redevenus  magis- 
trats,  néanmoins  ils  ne  laissèrent  pas  de  déléguer 
leurs  fonctions  à  des  vicomtes.  Nous  rencontrons  , 
avec  celle  qualité,  Adalelme,  en  987,  et  Falco,  en 
4032.  Après  l'extinction  du  comté,  Falco,  le  der- 
nier vicomte ,  fut  maintenu  dans  son  titre  et  dans 
sa  charge;  mais  à  sa  mort  il  fut  remplacé  par  un 
prévôt.  Telles  furent  les  vicissitudes  du  comlé  de 
Paris.  11  avait  succédé  à  la  préfecture  romaine  lors- 
que la  féodalité  s'implantait  sur  le  territoire  des 
Gaules  ;  il  redevint  prevdfé  ou  préfecture,  dès  que  la 
royauté  commença  sa  lutte  contre  le  régime  féodal. 
Depuis  Odon,  jamais  prince  ou  seigneur  n'avait 
pris  la  qualité  de  comte  de  Paris;  après  huit  siècles 
d'intervalle  (806  ans),  le  titre  vient  de  renaîlre  en 
faveur  du  rejelon  d'une  auguste  famille.  Nous  n'a- 
vons point  à  examiner  ce  que  peut  être  ,    de   nos 
jours,  le  comlé  de  Paris  ;  il  n'y  a  plus  rien  de  féodal 
dans    noire   constitution    politique  ,    et   les    lilres 
n'entraînent  ni  droit  ni  privilège. 


DEIJXJKMK  SlvRTE. 


s^^  <Q<mmî^2  wm  ^^mijn^* 


Sommairei 


Origine  du  comté  de  Paris  ,  sa  nature.  —  Étendue  de  sa  juridic- 
tion. —  Les  comtes  de  Paris,  par  leur  position,  durent  devenir 
une  puissance  rivale  de  la  royauté.  —  Causes  qui  s'opposè- 
rent à  leur  élévation. —Ces causes  disparaissent  à  la  fin  de  la 
seconde  race  ,  qu'il  s'opère  un  changement  dans  la  position  des 
comtes  de  Paris;  étendue  de  leur  puissance.  —  La  royauté  ne 
pouvant  exister  à  côté  d'eux,  ils  deviennent  rois.  — Comment  fut 
amenée  cette  fusion  de  la  puissance  des  comtes  avec  la  royauté. 
—  Extinction  du  fief. 


Le  premier  seigneur  que  nous  voyons  Figurer  ^^(^5 
dans  l'histoire  avec  le  titre  de  comte  de  Paris,  fui 
Erchinoald  ou  Erchembaud  ,  fils  du  prudent  Ega , 
maire  du  palais,  l'un  des  plus  nobles  princes  de 
Neustrie,  sage  en  paroi  le  et  en  responce  et  droicturier 
€71  justice.  Erchinoald  remplaça  son  père  dans  ses 
éminentes  fonctions.  Son  nom  n'est  point  resté  fa- 
meux parmi    les  maires    du    palais;   le    farouche 


Ebi  oin  avec  sa  sombre  renommée ,  la  famille  des 
Pépin  avec  les  souvenirs  brillans  qui  se  rattachent 
à  leur  mémoire,  ont  fait  oublier  tous  les  maires 
leurs  prédécesseurs.  D'ailleurs  il  n'nvait  aucune  de 
ces  qualités  éclatantes  qui  souvent  font  la  fortune 
d'un  nom,  sans  faire  pour  cela  le  bonheur  du  peu- 
ple; il  se  distinguait,  comme  son  père,  par  sa  sa- 
gesse, sa  prudence,  son  amour  pour  la  justice.  Il 
ne  fut  point  étranger  à  l'art  de  la  guerre ,  et  plus 
d'une  fois  il  fit  sentir  sa  valeur  à  ces  indomptables 
pirates  qui  descendaient  des  bords  de  la  Baltique 
pour  infester  nos  côtes. 

Dans  une  de  ses  expéditions,  le  sort  des  combats 
livra  dans  ses  mains  une  jeune  fdle  y  laquelle  on  di- 
sait estre  de  royale  lignée;  car  la  captive  était  belle 
et  noble ,  et  en  elle  les  qualités  de  l'âme  rehaus- 
saient la  beauté  du  corps.  Erchinoald  ne  resta 
point  insensible  à  ses  attraits,  et  parmi  les  escla- 
ves nombreuses  qui  composaient  sa  maison,  il  sut 
distinguer  la  royale  fille.  Bientôt  Bauldour  (  c'é- 
tait son  nom)  quitta  ses  modestes  vêtemens  et 
s'assit  à  la  table  de  son  seigneur.  Le  maire  du  pa- 
lais se  plaisait  à  la  servir  de  ses  propres  mains;  il 
aurait  voulu  lui  faire  oublier  par  les  honneurs  dont 
il  la  comblait,  et  les  rives  toujours  chères  de  la  Saxe, 
sa  patrie,  et  les  outrages  de  l'aveugle  fortune.  Un 
autre  motif  le  poussait  sans  doute  aussi  à  cet  excès 
de  galanterie:  il  aspirait  à  la  main  de  la  Saxonne  ; 
mais  il  était  engagé  dans  les  liens  d'un  premier  ma- 
riage, et  la   vertueuse  Bauldour  aurait  rejeté  des 


—  37  — 
feux  lllégilimos.  La  mort  vint  détruire  cet  obstacle; 
el,  sur  la  tombe  à  peine  fermée  de  sa  première 
femme,  Erchinoald  rêva  un  nouvel  hyménée.  Il 
redoubla  d'instances  auprès  de  sa  captive  ;  il  l'en- 
toura de  luxe,  de  richesses,  d'honneurs;  enfin  il 
osa  lui  avouer  son  amour.  A  cet  aveu  ,  Bauldour, 
qui  sentait  dans  ses  veines  couler  un  sang  royal,  fut 
effrayée  ;  et  trop  fière  pour  s'alher  à  quiconque  n'é- 
tait pas  roi,  elle  se  cacha  pour  éviter  les  poursuites 
de  son  seigneur. 

Cependant  Clovis  II  avait  entendu  parler  de  la 
naissance  et  d^s  vertus  de  l'esclave  d'Erchinoald; 
il  désira  la  voir,  et  sa  beauté  fit  sur  lui  une  pro- 
fonde impression.  Les  sympathies  du  monarque 
prirent  peu  à  peu  le  caractère  de  la  passion,  et 
Bauldour,  débarrassée  de  la  main  d'un  sujet,  de- 
vint reine  de  France.  C'est  elle  que  nous  connais- 
sons sous  le  nom  de  Bathilde;  unie  à  un  prince 
indolent,  elle  porta  tout  à  la  fois  et  la  couronne  de 
reine  et  le  sceptre  du  monarque,  jusqu'au  moment 
où,  fatiguée  des  grandeurs  delà  terre,  elle  alla  dans 
Tabbaye  de  Chelles  calmer  son  sang  ambitieux. 

Erchinoald,  trompé  dans  ses  espérances,  se  con- 
sola en  contractant  un  mariage  plus  analogue  à  son 
rang. 

Il  signala  sa  libérable  envers  l'Eglise  par  des  do- 
nations importantes,  et  expia  sans  doute  large- 
ment la  parcimonie  de  son  père  Ega,  qui,  dit  un 
de  nos  chroniqueurs ,  était  droicturier  en  justice  , 
mais  trop  avaricieux.  En  effet ,  il  fit  don  à  la  fois 


—  38  — 
d'une  de  ses  maisons,  siluée  à  l'endroit  où  s'élève 
aujourd'hui  riIotel-Dieu;  de  la  terre  de  Creleil  et 
de  sa  chapelle,  qui  devint  plus  tard  l'église  de  Saint- 
Christophe  ,  détruite  en  17^7  pour  faire  place  à  la 
maison  des  Enfans-Trouvés. 

Ces  riches  présens  indiquent  assez  l'opulence 
d'un  puissant  seigneur  qui  peut,  sans  s'appauvrir, 
détacher  plusieurs  terres  de  ses  vastes  domaines  ; 
mais  l'histoire  ne  nous  apprend  pas  s'il  laissa  des 
héritiers  de  sa  fortune  et  de  son  nom.  Un  fait  est 
certain,  c'est  que  l'autorité  de  maire  du  palais 
passa  sur  la  tète  du  terrihle  Ebroïn.  Sous  le  génie 
despotique  de  ce  ministre,  les  comtes  de  Paris  s'ef- 
facent à  peu  près  de  nos  annales,  ou,  s'ils  y  figu- 
rent encore,  leur  nom  est  sans  gloire  ,  leur  vie  est 
obscure  ,  leur  puissance  languit  sans  force  et  sans 
énergie.  Ainsi  Soanalchide  et  Gaïrefroy  n'auraient 
pas  même  laissé  de  traces  de  leur  passage ,  si  les 
prétentions  injustes  d'un  de  leurs  successeurs  ne  les 
eussent  entraînés  devant  le  tribunal  du  roi  Pépin. 
719  II  paraît  que  pendant  les  troubles  qui  agitèrent 
une  partie  de  la  régence  de  Charles-Martel,  lorsque 
Hainfroy  ,  soutenu  par  Eudon  d'Aquitaine  ,  voulait 
disputer  le  pouvoir  à  l'héritier  des  Pépin  ,  les  deux 
comtes  que  nous  venons  de  nommer  prirent  cause 
contre  Charles.  Les  religieux  de  Saint-Denis,  peu 
contens  d'un  prince  qui  distribuait  à  ses  soldats  les 
biens  de  l'Eglise,  prêtèrent  main  forte  à  ses  enne- 
mis. Comme  ils  ne  pouvaient  les  aider  de  leur 
5ang ,  ils  les  secoururent  de  leur  argent,  etpermi- 


—  59  — 
lent  à  Soanalchido,  et  plus  Uud  à  GaïrelVoY,  do  le- 
ver quatre  deniers  par  tête  sur  les  marchands  qui 
affluaient  à  la  foire  de  Saint-Denis. 

Gérard,  leur  successeur,  sans  s'inquiéter  des 
causes  qui  avaient  donné  naissance  à  cet  impôt, 
non  seulement  voulut  continuer  à  percevoir  la  taxe, 
mais  encore  il  l'augmenta  d'un  denier  sur  les  mar- 
chands qui  n'étaient  pas  de  condition  libre.  Cet 
empiétement  ne  fut  pas  vu  de  bon  œil  par  les  reli- 
gieux ;  la  foire  de  Saint-Denis  cessa  d'attirer  un  vaste 
concours,  parce  que  l'excès  des  droits  en  écartait 
les  marchands;  le  trésor  de  l'abbaye  ne  s'emplis- 
sait plus;  les  moines  crièrent,  et  Fulrad  ,  l'un  des 
plus  fermes  abbés  de  ce  monastère ,  porta  leurs 
plaintes  jusqu'au  trône  de  Pépin.  Gérard  essaya  en 
vain  de  légitimer  ses  prétentions  :  il  succomba,  et 
une  charte,  émanée  du  roi,  consacra  la  franchise 
de  la  foire  de  Saint-Denis.  Plus  tard  il  ctlaça  le  sou- 
venir de  ses  tentatives  d'usurpation  sur  les  bierjs 
du  clergé,  en  figurant  comme  donateur  dans  l'acte 
de  fondation  du  monastère  de  Prum. 

Nous  avons  hâte  de  passer  sur  ces  comtes  obscurs 
dont  le  nom  ne  rappelle  rien  de  grand  ni  do 
glorieux  pour  notre  patrie,  rien  d'utile  à  ses  inté- 
rêts. Ltienne  lui-même  ,  quoique  investi  de  sa  puis- 
sance par  un  prince  dont  le  contact  agrandissait 
tout,  Ltienne  n'échappe  pas  à  cet  oubli  de  l'his- 
toire. 

iNous  savons  (jue  Charlemagne  le  nomma  ,  avec  80:2 
Fardulfus  ,  abbé  de  Saint -Denis,  missiia  doniinicaHy 


pour  inspecter  l'exercice  de  la  justice  dans  les  ter- 
ritoires de  Paris,  de  Melun,  de  Provins,  de  Char- 
tres, d'Étampes  et  d'autres  lieux.  Il  figure  dans  un 
capitulaire  de  l'empereur,  où  il  est  dit  :  «  Ces  capi- 
»  Iules  furent  signifiés  au  comte  Etienne  pour  qu*il 
')tes  fît  publier  dans  la  cité  de  Paris  et  dans  une  as- 
»  semblée  publique  (rtiallo  publico),  et  lire  en  pré- 
«sence  des  éclievins  (  coram  scablneisj,  — L'assem- 
))blée  déclara  qu'elle  voulait  toujours  observer  ces 
«capitules,  et  tous  les  échevins,  les  évêques,  les 
»  abbés ,  les  comtes,  les  signèrent  de  leur  propre 
«main.  » 

En  sa  ,  Etienne  paraît  conjointement  avec 
Amaltrude,  son  épouse,  dans  une  donation  de 
biens  à  l'église  cathédrale  de  Paris,  alors  appelée 
Sainte-Marie  et  Saint-Étienne.  —  Il  fut  Tun  des 
douze  comtes  qui  signèrent,  en  qualité  de  témoins, 
le  testament  du  grand  empereur. 

Les  missi  dominici  étaient  de  véritables  inspec- 
teurs généraux  que  Charlemagne  envoyait  dans  le» 
provinces  pour  contrôler  l'administration  des  ducs 
et  des  comtes ,  et  faire  parvenir  jusqu'au  trône  les 
plaintes  des  sujets.  C'était  un  des  ressorts  les  plus 
importans  du  pouvoir  centra!, 

Bigon,  Biegon  ou  Pecopin  mérite  encore  moins  de 
fixer  notre  attention;  il  ne  parait  dans  l'histoire 
que  pour  donner  sa  main  à  Alpaïde  ,  fille  de  Louis- 
le-Débonnaire.  Au  reste  ,  il  ne  jouit  pas  long-temps 
de  sa  fortune  et  de  la  faveur  royale.  Sa  mort  arriva 
en  816. 


—  41  — 

Girard  11  est  le  premier  comte  que  nous  rencon- 
trons après  lui.  On  ignore  s'il  fut  son  successeur 
immédiat;  mais  il  est  certain  qu'en  837  il  était  à 
la  tête  du  comté  de  Paris.  Nous  en  avons  pour 
preuve  la  prestation  du  serment  qu'il  fit  avec  Hil-  857 
duin,  abbé  de  Saint-Denis,  à  Charles-le  Chauve , 
lorsque  le  père  de  ce  dernier,  Louis-le-Débonnaire, 
après  l'assemblée  d'Aix-la-Chapelle,  lui  eut  concédé 
la  plus  grande  partie  de  la  France.  Girard  oublia, 
du  reste  ,  bientôt  son  serment;  car,  en  8^0,  nous  le 
trouvons  dans  le  parti  de  Lothaire ,  qui  était  l'en- 
nemi de  Charles.  Pour  servir  les  intérêts  de  son 
nouveau  souverain  ,  qui  lui  avait  confié  la  garde  de 
la  Seine  ,  il  n'hésita  point  à  détruire  tous  les  gués,  à 
submerger  toutes  les  barques  et  à  démolir  tous  les 
ponts  qui  se  trouvaient  sur  celte  rivière.  L'histoire 
ne  nous  apprend  plus  rien  à  son  sujet. 

Conrad,  comte  de  Paris,  après  la  mort  de  Louis- 
le-Bègue  ,  avait  épousé  Adélaïde ,  princesse  que 
Charles-le-Chauve  avait  eue  de  Richilde ,  d'abord 
sa  concubine,  et  plus  lard  élevée  aux  honneurs  du 
mariage  légitime.  Il  prêta  l'oreille  aux  suggestions  879 
de  Gozlin,  abbé  de  Saint-Germain-des-Prés,  qui 
l'entraîna  à  former  une  cabale  pour  déférer  la  cou- 
ronne de  France  à  Louis,  roi  de  Germanie,  au 
préjudice  des  enfans  de  Louis-le-Bègue.  Le  comte 
et  l'abbé  eurent  assez  d'influence  pour  faire  goûter 
leur  projet  à  une  assemblée  d'évêques,  d'abbés  et 
d'hommes  puissans;  elle  roi  de  Germanie  ,  accep- 
tant volontiers  une  offre  qui  souriait  à  son  ambi- 


—  42  — 
lion  ,  avait  déjà  passé  le  lUiiii  pour  occuper  le  Iroue 
de  Cliarleiiiagne. 

Mais  d'autres  seigneurs,  instruits  des  manœuvres 
de  l'abbé  Gozlin  et  de  Conrad  ,  députèrent  auprès 
de  Louis  pour  lui  offrir  une  portion  de  l'empire 
plus  voisine  de  ses  États  et  par  conséquent  plus  fa- 
cile à  réduire  sous  sa  domination.  Cet  abandon  le 
détermina  à  reprendre  le  chemin  de  son  royaume , 
et  il  ne  resta  à  l'abbé  et  au  comte  que  la  honte  de 
leur  tentative. 

Désormais  notre  tâche  va  s'agrandir,  les  comtes 
de  Paris  sortent  de  l'obscurité  et  s'emparent  du 
principal  rôle  dans  notre  histoire,  jusqu'à  ce  qu'ils 
fondent  la  troisième  dynastie  de  France.  A  leur 
nom  se  rattachent  de  glorieux  souvenirs  pour  no- 
tre patrie;  et  sa  grandeur  militaire,  son  salut 
môme  ,  deviennent  leur  ouvrage. 

Tandis  que  les  fils  de  Louis-le-Débonnaire  se  dis- 
putaient les  débris  de  son  empire,  les  hommes  du 
Nord,  qui  plus  d'une  fois  avaient  effrayé  le  génie 
de  Cliarlemagne,  s'apprêtaient  à  quitter  la  mer  des 
Suèves  et  les  vastes  solitudes  où  le  féroce  Odin  avait 
établi  son  culte  de  sang.  Deux  passions  font  battre 
le  cœur  de  ces  terribles  guerriers  :  l'une  l'amour,  et 
l'autre  la  gloire  des  combats.  La  guerre  est  pour  eux 
le  chemin  du  FaUialla  et  la  concjuête  de  la  beauté.  La 
vierge  Scandinave  ne  s'endort  pas  sur  le  sein  du  lâ- 
che; Odin  n'a  promis  les  joies  de  son  élysée  qu'au 
guerrier  couvert  du  sang  ennemi.  La  fortune  de 
l'homme  du  Nord ,  c'est  sa  bar^fue ,  c'est  son  éj)ée  ; 


—  ^ô  — 
sa  richesse  ,  c'est  le  butin  partout  où  il  le  trouve  ;  lu 
source  de  son  bonheur  éternel,  c'est  la  blessure  , 
c'est  la  mort  sur  le  champ  de  bataille.  Ici  bas  même 
leScalde  consacrera  ses  vers  à  chanter  sa  valeur. 

C'est  avec  ces  idées  que  les  Normands  descen- 
dent sur  la  terre  de  notre  patrie.  L'enthousiasme 
de  l'amour  et  de  la  gloire  agrandit  leur  courage  ,  le 
fanatisme  leur  souffle  ses  énergiques  inspirations. 
Aussi  l'épouvante  et  la  désolation  se  répandent  sur 
leur  passage  ;  on  suit  leur  marche  victorieuse  guidé 
par  les  débris  des  chaumières,  à  la  lueur  des  incen- 
dies ;  Rouen  devient  la  proie  des  flammes;  [Nantes  est  ^^^ 
prise;  Bordeaux  éprouve  leur  fureur;  les  abbayes 
de  Saint-Pierre,  de  Saint-Paul,  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  se  changent  en  ruines  ;  Paris  les  voit  avec 
terreur  menacer  ses  remparts. 

L'épée  de  Charlemagne  était  alors  remise  aux 
mains  de  Charles-le-Chauve,  prince  faible  qui  ne 
parut  jamais  avoir  du  génie  que  pour  s'emparer 
de  l'héritage  de  ses  frères  et  de  ses  neveux.  Mais 
auprès  du  Irône  était  un  homme  d'un  sang  géné- 
reux, grand  de  courage  et  d'héroïsme,  c'était  Ro- 
bert. L'empereur  lui  confie  la  défense  de  la  pairie, 
et  Robert  s'en  va  conquérir  sur  les  champs  de  ba- 
taille le  titre  de  Fort,  en  même  temps  qu'il  préserve  snii 
son  pays  du  pillage  et  de  la  mort.  Il  poursuit  les 
Normands  dans  toutes  les  provinces  où  ils  ont 
porté  leurs  ravages,  jusqu'à  ce  que,  sur  les  bords  de 
la  Loire,  à  Briesartc,  il  lombe  dans  une  sanglante 
mêlée. 


—  u  — 

Une  obscurité  assez  profonde  règne  sur  son  ori- 
gine :  chaque  généalogiste  dresse  sa  table  d'après 
ses  vues;  mais  il  est  certain  que  sa  naissance  est 
pleine  d'illustration ,  et  qu'il  fut  la  véritable  sou- 
che de  ces  Comtes  de  Paris  qui  héritèrent  du  trône 
de  Charlemagne.  Il  ne  faut  point  le  comprendre 
parmi  les  comtes  de  Paris  ;  il  était  duc  des  Fran- 
çais, et  on  l'aurait  vu,  sans  aucun  doute,  à  la  tète  du 
comté,  si,  dans  le  moment  de  sa  fortune,  le  fief  de 
sa  capitale  n'eût  été  occupé  par  un  autre  seigneur. 

Hugues,  son  frère,  qui  lui  survécut,  hérita  de  sa 
puissance  et  réunit  le  comté  de  Paris  au  duché  de 
France.  Les  deux  fils  de  Robert-le-Fort  étaient 
alors  encore  en  bas  âge  :  c'étaient  Eudes  et  Robert, 
qui,plustard,arrivèrentrun  et  l'autre  à  la  couronne. 
Hugues  continua  la  lutte  qu'avait  commencée  son 
père  contre  les  hommes  du  Nord;  mais  tous  ses  ef- 
forts devaient  être  inutiles.  De  même  qu'ils  avaient 
créé  la  fortune  de  Robert-le-Fort,  les  Normands 
devaient  faire  la  gloire  de  Eudes,  son  fils,  et  le  met- 
tre en  quelque  sorte  sur  le  chemin  de  la  royauté. 
Telle  est  la  pensée  que  résume  cette  noble  devise 
gravée  sur  la  médaille  du  roi  Eudes  :  Cœsis  Norma- 
niis  et  Lutetia  obsidione  tiberata. 

Les  hommes  du  Nord,  en  effet,  malgré  les  dé- 
faites que  leur  avaient  fait  essuyer  Hugues  et  Ro- 
bert-le-Fort, ne  cessaient  point  leurs  incursions. 
En  vain  nos  faibles  monarques  leur  jetaient  de 
l'or  à  poignées  ,  l'instinct  d'une  vie  sociale  plus 
forte  et  moins  aventureuse  les  poussait;  et  comme 


—  45  - 
ces  tribus  de  la  Germanie  qui,  quatre  siècles  aupa- 
ravant, avaient  pris  possession  de  l'empire  romain, 
ils  essayaient  de  trouver  place  sur  une  terre  que 
devait  bientôt  féconder  la  civilisation.  D'ailleurs  , 
l'exemple  de  leurs  frères  les  tentait.  Godefroy  et 
les  siens  avaient,  sous  Cliarles-le-Chauve,  fixé  leur 
existence  nomade  dans  le  Cotentin,  et  Lothaire 
avait  cédé  une  partie  de  l'Anjou  au  vaillant  Hérold. 
Cette  fois,  ils  s'avançaient  sous  les  ordres  de  Sige- 
froy,  le  plus  terrible,  peut-être,  mais  non  le  plus 
heureux  des  rois  de  la  mer;  il  commandait  aux 
chefs  de  puissantes  tribus,  et  sept  cents  barques 
portaient  ses  quarante  mille  guerriers. 

Déjà  ils  ont  franchi  les  flots  de  la  Manche;  la  885 
Seine  leur  ouvre  un  passage  jusque  dans  le  cœur  du 
royaume  ;  et  avant  qu'on  ait  pu  leur  opposer  la 
moindre  résistance ,  ils  sont  aux  portes  de  Paris. 
Sigefroy  demande  insolemment  la  permission  de 
traverser  la  ville  ,  en  promettant  d'être  inofFensif. 
Mais  Gozlin,  qui  gouvernait  alors  l'Eglise,  se  garde 
bien  de  croire  h  sa  parole  :  père  de  son  peuple 
pendant  la  paix,  il  veut  être  un  de  ses  libérateurs 
dans  les  périls  de  la  guerre.  Il  repousse  donc  avec 
fermeté  les  prétentions  du  barbare.  Outré  de  colère, 
etvainde  sesforces,  celui-ci  répond  :  «  Si  j'étais  assez 
lâche  pour  me  retirer,  ma  tête  alors  aurait  mérité 
l'honneur  du  glaive  et  puis  la  dent  du  chien.  Si,  ce- 
pendant, tu  ne  cèdes  à  mes  prières,  mes  forts,  au  le- 
ver du  jour,  t'enverront  des  traits  empoisonnés,  à  son 


—   if)  — 

coucher  le  fléau  de  Id  j'aminv,  et  Us  rcrommr7icero)ii 
Ions  les  ans.  » 

Ainsi,  dans  sa  pensée,  comme  autrefois  Brennus 
sur  les  débris  de  Rome,  Sigefroy  s'écriait  déjà  : 
«  Malheur  aux  vaincus  !  »  Mais  la  France  ne  devait 
pas  être  rachetée  au  poids  de  Ter,  elle  avait  aussi 
son  Camille  :  Eudes  veillait  pour  elle. 

Au  lever  du  jour,  Paris  voit  avec  effroi  se  déployer 
dans  la  plaine  les  troupes  nombreuses  des  Nor- 
mands. La  foule  éperdue  se  précipite  dans  les  tem- 
ples; les  guerriers  prennent  place  sur  les  remparts; 
il  se  fait  un  silence  profond  et  lugubre  ;  mais,  au 
dehors,  des  cris  tumultueux  et  confus  se  font  en- 
dre  ;  des  armes  et  des  boucliers  s'entrechoquent  ; 
les  Normands  vont  commencer  l'attaque.  A  Tcxtré- 
mité  de  l'île  de  la  Cité  étaient  construits  deux 
ponts  en  bois,  les  seuls  par  lesquels  on  pût  péné- 
trer dans  l'île;  deux  tours  aussi  construites  en  bois 
servaient  à  en  défendre  le  passage. 

C'est  là  que  les  Barbares  dirigent  tous  leurs  ef- 
forts ;  car  ils  ne  peuvent  pénétrer  dans  la  ville  sans 
s'être  rendus  maîtres  des  ponts.  Mais  Eudes  avait 
confié  la  défense  de  ce  poste  important  à  l'élite  de 
ses  soldats  et  de  ses  chefs.  Là  combattait  son  frère 
Robert,  là  combattaient  Ragnacaire  et  le  favori  de 
Mars,  le  redoutable  E/Ae.  Celui-ci  avait  quitté  le  froc 
du  moine  pour  revêtir  la  cuirasse  des  combats;  ses 
flèches,  s'il  faut  en  croire  l'historien  de  ces  guerres, 
allaient  chercher  au  loin  les  Normands,  et  d'un 
seul  trait  il  pouvait  percer  jusqu'à  sept  ennemis  à  la 


—  47  — 

lois  ;  puis,  en  riant,  il  ordonnait  à  leurs  compa- 
gnons de  les  porter  dans  les  cuisines.  Là  on  voyait 
aussi  le  ponlife  du  Christ,  Gozlin,armé  de  la  croix. 
Il  réveillait  l'espérance  dans  le  cœur  des  soldats,  et 
appelait  le  ciel  au  secours  de  sa  patrie  ;  quelquefois, 
saisissant  l'épée,  il  précipitait  au  bas  des  retranclie- 
mens  un  ennemi  trop  audacieux. 

Pour  Eudes,  il  était  partout  ;  chef  et  soldat  tout 
ensemble,  il  semblait  multiplier  ses  bras  et  sa  pen- 
sée; c'était  lui  qui  accablait  les  assiégeans  d'une  grêle 
de  pierres  et  de  flots  d'huile  bouillante;  et  lorsqu'ils 
se  débattaient  dans  d'horribles  angoisses,  le  Fran- 
çais, spirituel  et  railleur,  même  au  plus  fort  du 
danger,  s'écriait  :  «  Allez  rafraîchir  votre  chevelure 
dans  la  Seine  :  ses  eaux  vous  la  répareront  et  vous 
la  rendront  plus  lisse. 

Consternés  de  leurs  pertes,  les  Normands  veu~ 
lent  se  retirer  dans  leurs  tentes;  ils  s'éloignaient 
lentement  des  tours,  lorsque  tout  à  coup  d'aflVeu- 
ses  imprécations  retentissent  :  cp  sont  leurs  fem- 
mes échevelées  qui  s'avancent  à  leur  rencontre 
et  les  forcent  à  recommencer  le  combat.  La  lutte 
devient  plus  sanglante;  des  pans  de  ces  tours  s'é- 
croulent et  laissent  à  découvert  leurs  redoutables 
défenseurs.  Mais  le  courage  croît  avec  le  })éril  ; 
chaque  soldat  se  change  en  héros  :  l'ennemi  cède 
encore  une  fois  et  se  retire. 

A  l'endroit  qu'occupe  aujourd'hui  le  faubourg 
Saint-Cermain  s'élevaient,  à  cette  époque,  de  vasies 
et  épaisses  forêts;  c'élait  à  leui'  proxiniilé  que  les 


Barbares  avaient  établi  leur  camp.  Sigefroy,  avant 
de    recommencer   l'attaque,   fait  abattre  les   plus 
beaux   arbres    pour  servir  à  la  construction  des 
machines.  Ensuite  ses  soldats  forment,  à  sa  voix, 
une  tortue  de  leurs  boucliers,  qu'ils  ont  recouverts 
de  la  dépouille  de  taureaux.  Sous  ce  toit  impéné- 
trable,   ils  bravent  une  incessante  projection  de 
pierres   et  des  flots  d'huile  bouillante.    En  vain 
chaque  trait  de  l'infatigable  Eudes  frappe  à  mort 
un  ennemi;  en  vain  les  soldats  assiégés,  et  à  leur 
tête  Ermanfred  ,  Erilang,  et  le  bel  Ervée,  que  les 
Normands,  à  la  majesté  de  sa  stature,  prenaient  pour 
un  roi,  font  dans  leurs  rangs  de  terribles  ravages; 
malgré  leurs  pertes,  ceux-ci  s'avancent  au  pied  des 
murs.  Des  taureaux,  des  fascines,  des   arbres  en- 
tiers roulent  dans  les  fossés;  on  égorge  les  captifs, 
et  leurs  cadavres  comblent  les  retranchemens.  En 
même  temps  les  ennemis  font  mouvoir  d'énormes 
machines  et    menacent    d'achever    l'écroulement 
des  tours.  Eudes,   toujours  calme  au   milieu  du 
danger,  fait  saillir  et  fixe  solidement  de  longues  [)0u- 
tres  armées  de  dents  de  fer,  contre  lesquelles  vien- 
nentse  briser  les  forteresses  mobiles  des  Normands. 
La  fureur  alors  vient  au  secours  de  leur  génie  impuis- 
sant; ils  chargent  de  fascines  trois  de  leurs  barques, 
et  lorsque  la  flamme  s'élève  en  tourbillons,  ils  les 
lancent  sur   le  courant  du   fleuve  pour    en  incen- 
dier les  tours.  Toute  la  ville  est  émue  de  terreur  à 
ce   spectacle:   les  femmes,   les  vieillards   courent 
aux  temples;   enlevées  du  sanctuaire,  les  reliques 


—  iS)  — 

(les  saints  ,  sont  promenées  solennellement  dans 
Paris  pour  cpi'ils  protègent  la  ville  par  leur  pré- 
sence; les  boucliers  des  ennemis  s'entrechoquent 
en  signe  de  triomphe  ;  Eudes  et  les  siens  veillent 
attentifs  sur  les  remparts.  Mais  le  danger  et  l'amour 
de  la  patrie  inspirent  une  grande  résolution  à  trois 
hommes  généreux  :  au  péril  de  leur  vie,  ils  se  pré- 
cipitent dans  le  fleuve  pour  détourner  l'incendie  ; 
le  ciel  a  béni  leur  courage,  car  ils  viennent  à  bout 
de  remonter,  mais  couverts  de  sang  et  noircis  de 
fumée;  contemplant  bientôt  avec  joie ,  au  milieu 
de  leurs  frères,  les  barques  enflammées  qui  s'abî- 
ment dans  la  Seine. 

Vaincus,  les  Barbares,  pour  le  plus  grand  nom- 
bre, vont  porter  leur  honte  et  leurs  ravages  vers 
des  régions  plus  occidentales  de  la  France,  dans 
les  pays  que  féconde  la  Loire.  Eudes  envoya  bien 
au  secours  des  provinces  dévastées,  mais  la  résis- 
tance y  fut  moins  vive  qu'à  Paris  ;  et  le  Normand, 
couvert  de  butin  ,  fatigué  de  carnage  ,  put  à  la  fin 
songera  revoir  la  mer  des  Suèves.  Cependant,  avant 
de  quitter  pour  toujours  le  littoral  de  la  France, 
Sigefroy  ramena  ses  soldats  autour  de  Paris:  peut- 
être  espérait-il  surprendre  la  ville  ,  se  flatlait-il 
d'obtenir  le  passage.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  demande 
une  entrevue  à  Eudes,  qui  y  consent.  Mais  à 
peine  commençait-elle ,  que  les  perfides  compa- 
gnons du  roi  barbare,  soit  par  son  ordre,  soit  de 
leur  propre  mouvement ,  tentent  d'envelopper  le 
comte  et  de  l'enh  aîner  dans  leur  camp.  Eudes  s'en 


—  50  — 
aperçoit;  appuyé  sur  sa  javeline,  d'un  saut  ii  fran- 
chit le  fossé,  et,  se  retournant  contre  ses  lâches 
adversaires,  tel  qu'un  lion  surpris,  il  les  repousse 
jusqu'à  ce  que  ses  compagnons  viennent  à  son  se- 
cours. Frappé  de  tant  de  valeur,  Sigefroy  s'écrie  : 
Abandonnons  La  place ,  notre  devoir  n  est  pas  de  res- 
ter ici ,  mais  de  nous  retire^-.  En  effet,  peu  de  jours 
après  il  reprit  le  chemin  de  sa  patrie. 

Cependant  Paris  restait  toujours  pressé  par  les 
Barbares;  car  peu  de  chefs  avaient  voulu  suivre 
leur  roi  :  au  dehors  la  guerre,  au  dedans  la  mala- 
die engendrée  par  la  putréfaction  des  cadavres  et 
la  disette.  Dans  ces  extrémités,  Eudes  confie  la 
garde  de  la  ville  au  vaillant  abbé  Eble,  et  va  chercher 
des  secours  en  Germanie.  Après  une  absence  de 
quelques  jours,  il  reparaît  sur  la  montagne  de 
Mars  (aujourd'hui  Montmartre),  à  la  tête  de  quel- 
ques délachemens  que  lui  avait  donnés  l'empereur 
Charles-le-Gros,  L'espérance  renaît  à  son  approche 
dans  le  cœur  des  Parisiens;  malheureusement  ii  ne 
peut  dérober  sa  marche  à  ses  vigilans  ennemis,  qui 
prennent  à  la  hâte  leurs  armes,  traversent  le  fleuve, 
et  viennent  s'opposer  à  son  passage.  Ce  fut  là  pour 
Eudes  la  cause  d'un  nouveau  triomphe;  il  se  fraie 
une  route  le  fer  à  la  main,  pendant  que  Eble  et 
les  siens  s'avancent  à  sa  rencontre  et  lui  ouvrent  les 
portes  de  la  ville. 
ssf;  Moins  actif,  l'empereur  Charles  arrivait  de  son 
côté,  conduisant  une  armée  nombreuse.  Il  eût  pu 
écraser  les  Normands;  il  préféra  leur  accorder  un 


—  51  — 
passage  et  leur  promettre  700  livres.  La  mort  vint 
l'enlever  à  l'indignation ,  au  mépris  des  Français. 
Sur  ces  entrefaites,  les  Barbares,  après  être  des- 
cendus en  Bourgogne,  sillonnaient  de  nouveau  la 
Seine  et  menaçaient  Paris.  Mais  Eudes,  que  la 
reconnaissance  publique  avait  élevé  au  trône 
de  France,  remplit  l'attente  de  son  peuple,  en 
rentrant  sur  le  champ  de  bataille  et  achevant  de 
disperser  les  débris  des  Normands.  Ln  fait  d'armes 
signalé  illustra  les  derniers  combats  qu'il  eut 
à  leur  livrer.  Une  bande  de  dix  mille  Normands 
s'avançait  sur  Paris  ;  Eudes,  qui  en  est  informé, 
prend  avec  lui  mille  compagnons  seulement  et  tra- 
verse la  plaine.  Lorsqu'il  est  au  pied  de  la  montr.- 
gne  du  Faucon  ,  ii  croit  entendre  dans  le  lointain 
un  bruit  semblable  à  un  cliquetis  d'armes.  Restez 
ici,  dit-il  à  ses  soldats,  et  quand  vous  enteyidrez  les  sons 
du  cor,  vous  marcherez,  L'épée  à  la  main,  il  gravit 
le  rocher  ;  Eudes  ne  s'était  pas  trompé,  c'étaient 
les  ennemis;  il  sonne  du  cor,  ses  compagnons  pré- 
cipitent leur  course  et  tombent  presqu'à  l'impro- 
viste  sur  les  Normands.  Ceux-ci  en  vain  se  défen- 
dent avec  courage  ;  les  Français,  animés  par  leur 
roi ,  remportent  la  victoire. 

Au  reste  ,  ce  ne  fut  pas  aux  Barbares  seulement 
qu'il  fit  éprouver  sa  valeur  et  la  supériorité  de  son 
génie  militaire,  les  seigneurs  eux-mêmes  ne  lardè- 
rent pas  à  voir  qu'ils  s'étaient  donné  un  maître. 
Le  vaillant  Adhémar,  le  premier,  ressentit  les  elle Is 
de  sa  vengeance.  Los  liens  du  sang  l'unissaiml  ù 


—  ;;2  — 
Endos;  plus  d'une  fois  il  avait  signalé  son  courage 
pendant  le  siège;  fier  de  ses  services,  il  vil  d'un  œil 
jaloux  le  roi  confier  à  Robert,  son  frère,  la  garde 
(le  Poiliers.  L'envie  lui  met  les  arraes  à  la  main  ; 
une  fois  même  il  surprend  pendant  la  nuit  les  trou- 
pes de  son  prince.  Au  tumulte  qui  règne  dans  le 
camp,  aux  cris  des  blessés  et  des  mourans,  Eudes 
est  bientôt  sur  pied  et  se  hâte  vers  le  lieu  du  désor- 
dre. Juger  le  danger  et  en  indiquer  le  remède, 
donner  des  ordres,  ranimer  le  soldat  par  sa  parole 
et  par  son  exemple,  ce  fut  l'affaire  d'un  instant. 
Remise  de  son  effroi ,  son  armée  résiste  et  finit  par 
mettre  en  fuite  celle  du  comte  Adhémar.  L'Aqui- 
taine, que  ce  dernier  gouvernait,  fut  soumise;  le 
roi,  poussant  sa  marche  victorieuse,  et  s'engageant 
dans  les  montagnes  de  l'Auvergne,  en  chasse  le 
comte  Guillaume,  que  l'exemple  d'Adhémar  avait 
entraîné. 
893  Fort  de  tant  do  victoires,  Eudes  espérait  enfin 
pouvoir  gouverner  en  paix,  lorsqu'il  apprit  que  les 
seigneurs,  et  entre  autres  Herbert,  comte  de  Ver- 
mandois  ,  venaient  de  faire  sacrer  à  Rheims  le 
jeune  Charles,  plus  tard  surnommé  le  Simple,  fils 
posthume  de  Louis-le-Bogue.  Eudes  reprit  les  ar- 
mes ,  mais  sa  présence  seule  suffit  pour  mettre  en 
fuite  ce  rival,  qui,  fugitif,  alla  réclamer  l'appui  du 
roi  de  Lorraine.  Zuentibold,  indigne  fils  du  grand 
Arnolphe,  lui  offrit  son  épée  qui  ne  servit  à  rien, 
car  il  savait  mieux  fuir  que  combattre.  La  mort 
vint  délivrer  Charles  de  son   redoutable   compéli- 


—    DO    — 

leur.  Dt's  liisloiiens  rapporlenl  cju'Eudes,  à  Sii 
dernière  heure,  en  proie  à  de  vaines  terreurs  de 
conscience,  recommanda  de  rendre  la  couronne 
aux  descendans  de  Charlemagne.  Celait  terminer  8î>>> 
par  un  acte  de  faiblesse  une  vie  toute  pleine  de  cou- 
rage et  d'héroïsme  :  tant  il  est  vrai  que  les  hommes 
les  plus  éminens  se  rattachent  toujours  par  quelque 
point  à  la  misère  de  notre  liumanité;  il  est  rare 
surtout  qu'ils  échappent  à  l'influence  des  préjugés 
de  leur  siècle.  Eudes,  en  présence  du  tombeau  , 
leur  rendit  un  dernier  hommage. 

Mais  Robert,  qui  n'élait  point  élt-ndu  sur  sou  lit 
de  mort ,  pensait  autrement  ;  peu  satisfait  de  son 
titre  de  comte  de  Paris,  il  enviait  le  poids  du  sceptre 
tju'avait  porté  son  frère.  Comme  Eudes  ,  hi  gloire 
des  combats  le  signalait  à  la  nation;  car  sur  le 
champ  de  bataille,  sur  la  brèche,  partout  il  avait 
montré  un  haut  courage  et  lait  preuve  de  grands 
talens  militaires.  Depuis  l'avènement  de  Charles-lc- 
Simple  au  trône,  les  Normands  n'eurent  pas  d*^ 
plus  redoutable  ennemi. 

La  patrie,  (jui  comptait  sur  sou  épéu  ,  Ncnait  de 
mettre  entre  ses  maiîis  le  soin  de  sa  déiense  ,  car 
d'autres  Barbares  avaient  récemment  déserté  les  fo- 
rêts du  iNord.  A  leur  tète  marchaient  Gerlon  et 
Raoul  ou  Rollon,  le  plus  heureux  des  rois  de  la  mer.  -'H 
Abandonnant  l'Angleterre,  après  l'avoir  ravagée  , 
ils  étaient  venus  se  replier  sur  la  Fiance  et  s'avan- 
«;aient  vers  Paris.  Dans  une  seule  rencontre,  Robert 
leur  tua  <,vpi  mille  hommes,  et  il  ail  lit  j)ouisui\ie 


—  5-4  — 

ses  succès,  lorsqu'il  apprit  que  Ctiarles-le -Simple, 
fatigué  d'une  lutte  sans  cesse  renaissante,  sollicitait 
la  paix.  D'ailleurs  le  temps  était  venu  pour  les 
hommes  du  Nord  de  prendre  enfin  position  sur  la 
terre  de  France  ;  et  Rollon,  par  sa  conversion  à  la 
foi  du  Christ,  et  par  son  mariage  avec  la  fille  du 
roi,  cimenta  l'union  dès  lors  indissoluble  des  deux 
peuples.  Robert  servit  de  parrain  au  chef  barbare, 
dont  le  nom  fut  depuis  et  pendant  long-temps, 
dans  la  Normandie,  comme  une  invocation  à  la  jus- 
tice même,  Gerlon  se  fixa  dans  le  comté  de  Blois. 

Jusque  là  Robert  avait  étouffé  son  ambition  se- 
crète :  le  danger  de  la  patrie  l'avait  emporté  sur  son 
intérêt  personnel.  Mais  lorsque  Charles,  débarrassé 
(les  Normands,  se  fut  abandonné  à  de  lâches  com- 
plaisances pour  son  favori  Haganon  ;  lorsque  ce- 
lui-ci eut  accumulé  sur  sa  tête  les  dignités  et  les 
honneurs,  le  comte  de  Paris,  blessé  dans  son  or- 
i^ueii ,  frémit  d'indignation.  Les  seigneurs  entrent 
dans  ses  vues;  Gislabert,  duc  de  Lorraine,  enve- 
nime les  esprits;  mais  Hugues-le-Grand  est  dé- 
pouillé de  l'abbaye  de  Chellcs  en  faveur  d'Haga- 
non  :  c'est  le  signal  de  la  révolte  ;  Robert  lève  le 
masque,  et  en  appelle  à  son  épée  de  la  justice  de 
sa  cause. 

L'imbécile  monarque,  content  s'il  peut  sauver 
son  favori,  abandonne  la  capitale,  et,  sur  les  pas 
d'Haganon  ,  va  chercher  un  asile  chez  Herbert, 
comte  de  Vcrmandois. 

Pendant  ce  temps,  Ruberl  fait  piller  les  trésors 


DO    

<lu  favori  et  les  distribue  à  ses  soldats.  Sa  valeur  , 
ses  nobles  qualités  lui  captivent  les  cœurs,  que  le 
roi  s'aliénait  par  son  caractère  étroit  et  son  favori- 
tisme injuste;  il  reçoit  à  Rouen,  des  mains  de  l'ar- 
chevêque Ervé,  la  couronne  de  France.  Trois  jours 
après,  le  prélat  mourut,  et  les  préjugés  du  temps 
attachèrent  à  sa  mort  l'idée  d'une  punition  divine. 

Mais  à  l'abri  de  ces  terreurs  vulgaires,  le  comte 
de  Paris,  sacré  roi,  continuait  à  soutenir  son  scep- 
tre par  son  épée  ;  tandis  que  Charles,  à  force  de 
bassesses,  mendiait  le  secours  de  l'empereur Henri- 
rOiseleur.  Robert  sut  déjouer  ses  manœuvres. 

Réduit  à  ses  seules  forces ,  Charles  se  hâte  d'as- 
sembler ses  troupes  afin  de  surprendre  son  rival. 
La  renommée  plus  agile  le  devance  ;  le  comte  se 
met  à  la  tête  d'une  poignée  d'hommes  et  vient  éta- 
blir son  camp  vers  la  rivière  d'Oise.  Trop  de  pré- 
somption cependant  lui  devint  funeste.  Echauffé 
par  tant  d'outrages ,  le  prince  sent  un  instant  dans 
ses  veines  l'ardeur  du  sang  de  Charlemagne.  Il 
passe  sans  bruit  la  rivière,  à  l'heure  où  les  compa- 
gnons de  Robert  se  livraient  dans  leurs  tentes  à  un 
modeste  festin.  Les  sentinelles  tombent  sous  ses 
coups;  en  un  clin  d'œil  le  camp  est  envahi  :  Ta- 
larme  se  répand,  les  coupes  sont  renversées;  les  uns 
se  retranchent  derrière  les  tables,  d'autres  s*arment 
de  leurs  boucliers.  Mais  Robert  est  à  cheval,  il  ra- 
nime les  siens,  et  bientôt  les  troupes  du  roi  faiblis- 
sent. Des  historiens  ont  avancé  qu'en  ce  moment 
(Uiarles,  apercevant  son  rival,  piqua  dioit  à  lui,  rt 


—  5(j  — 

cl  un  lieureux  coujj  de  lance  lui  perça  le  cœur. 
•^25  C'eût  été  là  sa  plus  belle  fortune;  mais  peut-être  ce 
fait  d'armes  appartient-il  plus  au  roman  qu'à 
l'histoire.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  mort  de  Robert  ne 
procura  point  la  victoire  à  Charles.  Robert  laissait 
à  son  armée  un  homme  de  ressource  et  de  génie  : 
c'était  son  propre  fds,  Hugues-le-Grand,  qui, 
ralliant  les  troupes  abattues  de  son  père,  vint  à  bout 
de  repousser  l'ennemi  et  de  se  rendre  maître  du 
champ  de  bataille. 

Désormais  il  va  occuper  l'histoire  presque  à  lui 
seul.  Le  trône  était  vacant;  s'il  n'eût  été  qu'un 
prince  ordinaire,  il  y  fût  monté,  malgré  les  seigneurs 
qui  redoutaient  sa  supériorité.  Toutefois,  pour  ne 
pas  blesser  son  orgueil,  ils  feignirent  de  remettre 
l'élection  d'un  roi  à  l'aimable  et  spirituelle  sœur  de 
Hugues.  Contrainte  de  choisir  entre  son  frère  et 
son  époux,  Raoul  de  Bourgogne,  Emine  répondit: 
J'aime  mieux  baiser  les  genoux  à  mon  mari  quà  mon 
frère,  [Baiser  les  genoux,  dans  la  langue  féodale 
signifie  faire  hommage.  ) 

Raoul  de  Bourgogne  prit  donc  la  couronne;  mais 
(îlle  était  environnée  d'écueils.  et  bientôt  il  eut  à  la 
défendre  contre  les  attaques  de  Charles,  appuyé 
sur  les  forces  de  la  Germanie.  Hugues  prit  en  main 
la  cause  de  son  beau-frère  et  la  fit  triompher. 

Cependant  Raoul  fut  obligé  d'entrer  en  guerre 
contre  ses  vassaux  eux-mêmes  ;  car,  tandis  que 
(4harles  expiait  dans  les  tours  du  château  de  Pé- 
ronne  son  excès  de  confiance  dans  l'hospilalité  du 


—  01  — 
comte  de  Vcrmandois,  celui-ci  ,  aiiibilieux  et  inlri- 
gant,  levait  l'étendard  de  la  révolte  contre  son  nou- 
veau suzerain.  Guillaume,  duc  d'Aquitaine,  de  son 
coté  en  faisait  autant.  Pour  le  comte  de  Paris,  tran- 
(juille  spectateur  de  ces  débals,  il  laissait  à  Raoul 
tout  le  poids  de  la  guerre  ;  il  avait  bien  pu  lui  prêter 
son  appui  contre  le  fils  de  Louis-le-Bègue ,  mais  ii 
était  trop  ardent  champion  de  la  noblesse  pour  le 
servir  contre  les  seigneurs.  C'était  un  moyen  ,  il  est 
vrai,  d'affermir  lui-même  sa  puissance  ,  quoiqu'en 
même  temps  il  favorisât  le  développement  de  cette 
féodalité  qui  devait  coûter  tant  de  peine  à  ses 
nombreux  successeurs. 

Toutefois ,  lorsqu'il  vit  qu'Herbert ,  réduit  aux 
abois,  menaçait  de  tirer  Charles  de  prison  pour  le 
mettre  en  présence  de  Raoul,  interposant  son  au- 
torité entre  le  suzerain  et  le  remuant  vassal,  il 
força  ce  dernier  à  souscrire  à  la  paix.  Charles  resta 
dans  sa  prison,  où  la  mort  seule  put  briser  ses  chaî- 
nes. Six  ans  après,  Raoul  mourut.  C'était  la  seconde  '  " 
lois  que  la  couronne  venait  s'offrir  à  Hugues  :  il  la 
refusa  encore.  On  s'est  étonné  de  ce  double  relus  ; 
mais,  comme  le  remarque  M.  de  Sismondi,  le  comte 
de  Paris  semble  avoir  considère  le  pouvoir  d'un  sei- 
gneur kérédi  taire  dans  ses  fie fs ,  comme  beaucoup  plus 
satisfaisant  pour  C ambition  que  la  prérogative  d'un 
roi  électif  sur  des  vassaux  inquiets  et  indépendans.  Il 
avait  déjà  considérablement  étcridu  f  héritage  de  sa. 
famille;  il  comptatt  C  étendre  encore',  mais  il  voulait 
donner  à  toutes  ses  usurpations  la  sanction    de  Caa~ 


—  58  — 

torilé  royale  ,  et  il  jugeait  (fu  elles  sciaient  bien  plus 
respectées  par  les  autres  vassaux  ou  par  les  souverains 
qui  viendraient  ensuite ,  s'il  mettait^  entre  eux  et  lui, 
le  nom  d*un  roi  légitime,  celui  d'un  roi  dont  il  serait 
le  maître,  que  s'il  s'exposait  à  voir  contester  en  même 
temps  et  l'acquisition  qu'il  avait  faite,  et  son  propre  ti- 
tre à  la  couronne.  Tous  les  grands  du  midi  des  Gaules 
et  de  l'Aquitaine  avaient,  dans  Us  dernières  guerres 
civiles ,  prétendu  vouloir  demeurer  fidèles  au  sang 
de  C harlemagne,  Hugues  compta  qu'il  les  gouverne- 
rait au  nom  du  dernier  descendant  de  cet  empereur. 

En  Angleterre,  retiré  dans  la  cour  du  roi  Athels- 
lan,  vivait  le  dernier  rejeton  de  la  race  carlovin- 
gienne.  C'étaitLouis,  surnommé  d'Outre-mer,  que 
samèreOdgive,  princesse  courageuse,  avait  emporté 
à  travers  les  flots  ,  après  la  captivité  de  Charles-le- 
Simple.  Hugues  déj)ute  Auségise,  archevêque  de 
Reims,  vers  le  jeune  roi;  et  lui-même,  au  milieu 
de  la  foule  nombreuse  et  brillante  des  seigneurs,  il 
va  le  recevoir  sur  la  grève  de  Boulogne.  Louis,  re- 
connaissant, fait  don  au  fds  du  comte,  le  célèbre 
Hugues  Capel,  d'une  partie  du  duché  de  Bourgogne. 
Mais  la  bonne  harmonie  dura  peu.  Le  monarque 
s'aperçut  bientôt  qu'il  était  en  tutelle;  assez  fier  et 
assez  courageux  pour  oser  secouer  ses  chaînes,  il  ôtc 
1)50  à  Hugues-le-Grand  l'intendance  générale  des  affai- 
res. En  même  temps  il  le  frappe  dans  ses  amis;  fait 
abattre  les  forteresses  qu'Herbert  avait  élevées  à 
Laon,  et  menace  de  raser  toutes  celles  du  rovaume. 
Hugues  n'était  pas  liunnne  à  courber  la   tôle  ;  il  sr 


—  d9  — 
ligue  avec  Herbert,  achèle  l'alliance  d'Ollion-le- 
Grand  ,  empereur  de  Germanie,  en  épousant  sa 
sœur  Hawinde,  et  appelle  sous  ses  drapeaux  le  duc 
de  Normandie.  La  guerre  éclate  de  toutes  parts  ; 
l'empereur  entre  en  France  ;  Hugues ,  secondé 
d'Herbert,  va  mettre  le  siège  devant  Laon,  où  Louis 
n'échappe  au  danger  d'une  surprise  que  par  la 
perle  de  ses  plus  vaillans  chevaliers.  Fugitif  dans 
son  propre  royaume  ,  le  malheureux  monar- 
que, trop  faible  contre  un  sujet  ,  va  chercher  un 
asile  dans  la  ville  de  Vienne  et  invoque  à  son  se- 
cours les  foudres  de  l'Eglise.  Le  pape  s'empresse 
d'intervenir  et  menace  le  comte;  mais  celui-ci  ne 
se  hâtait  guère  d'obéir,  lorsqu'Othon ,  gagné  par 
Louis,  cherche  à  l'épouvanter  à  son  tour.  L'empe- 
reur parlait  à  la  tète  d'une  puissante  armée;  Hu- 
gues trouva  ce  langage  plus  persuasif  que  celui  de 
Rome  et  consentit  à  la  paix. 

Tant  que  la  bonne  harmonie  dura,  le  roi  put  ré- 
primer les  prétentions  de  ses  insolens  vassaux. 
Ainsi  les  fih  d'Herbert,  héritiers  de  l'ambition  de 
leur  père,  étant  prêts  à  l'imiter,  le  comte  rabat- 
tit leur  orgueil  ;  il  reçut  en  récompense  le  reste 
du  duché  de  Bourgogne ,  et  le  titre  de  duc  des 
Français,  agra7idissement ,  dit  Mézerai,  qui  renversa 
depuis  la  postérité  du  roi,  mais  qui,  pour  lors ,  ac 
commodait  ses  affaires. 

La  guerre  de  Normandie  vint  jeter  de  nouvelles  l)4ô 
semences  de  discorde.  Après  la  mort  de  Guiliaumo- 
Longue-Épée,   Louis,  qui  portait  des  regards  do 


—  GO  — 

convoitise  sur  celle  province,  avait  attiré  à  sa  cour 
le  jeune  Richard,  sous  prétexte  de  lui  servir  de  tu- 
leur.  Il  ne  sut  pas  assez  dissimuler  son  intrigue;  un 
jour  même,  sans  grande  cause,  couleur  ii'occasio?i, 
le  prlnt  à  menacer  et  à  injurier  ;  lui  dit  que  s'il  ne  se 
rluislioit  et  gouvcrnoit  autrement,  il  lui  ferait  et  Cos- 
leroit  de  tout  honneur. 

Ces  paroles  menaçantes  eflVayèrent  Osmond , 
chevalier  et  compagnon  fidèle  du  jeune  prince  ;  il 
lui  recommanda  de  feindre  une  maladie;  et  pen- 
dant que  le  roi  faisait  festc  solennelle,  et  que  les  gardes 
s'en  alloient  en  La  salle ^  l'un  çà,  l'autre  /à,  pour  voir 
la  feste  y  le  chevalier  print  l'enfant,  le  lia  dans  un  fais- 
ceau d^ herbe  verte ,  et  sous  un  manteau  le  porta  hors 
jusqu'à  Coucy  en- V allais. 

Bernard-Ie-Danois  ,  qui  était  le  seigneur  de  ce 
lieu ,  prend  Richard  sous  sa  protection,  et  tâche 
d'intéresser  Hugues  à  la  cause  de  l'orphelin.  Le 
comte  promet  son  appui  ;  mais  le  roi  se  haie  de 
lui  proposer  en  récompense  de  ses  services  ,  les 
seigneuries  d'Evreux  cl  de  Bayeux  ;  i'ambilion 
lui  fait  oublier  sa  parole.  La  guerre  commence  , 
ot  la  fortune  suit  les  }>as  de  Hugues.  Trop  faibles, 
les  Normands  ont  recours  à  la  ruse  :  ils  feignent 
(le  se  soumeltre  au  roi  ,  qui  ,  l'cçu  dans  Rouen 
avec  magnificence  ,  ordonne  au  comle  de  sus- 
pendre ses  ravages.  Frustré  dans  son  esj)oir,  l'am- 
bitieux Hugues  rentre  à  Paris,  en  jurant  dans  son 
cœur  de  courroucer  le  roi.  Il  y  élait  à  peine  arri\é 
!i4o   que  Bernard,    voulant  mellre  fin  à  l'inlrigue   dont 


—  61  — 

Louis  était  le  jouot,  va  trouver  Hugues,  et,  se  pre- 
nant tout  d'abord  à  rire,  lui  dit  :  «  Or  ça,  seigneur, 
avez-vous  corKjuété  Normandie  ?  Comment  va  ta  he- 
songne  ?  Foiidriez-vous  point  aider  à  Richard  ?  r>  Et 
lors  ledit  Hué  répondit  :  «  Le  roi  en  a  fait  dépendre 
du  mien,  et  m'a  travaillé  et  failli  de  promesse,  mais, 
si  je  trouve  opportunité.  Je  m^en  vengeray.  »  L'occa- 
sion ne  larda  pas  à  seconder  ses  vœux. 

Bernard  avait  appelé  au  secours  des  Normands 
liarald  ou  Aigrold ,  roi  de  Danemarck;  et  pour  ti- 
rer vengeance  de  Louis ,  il  avait  conçu  le  dessoin 
de  le  faire  prisonnier;  mais,  effrayé  lui-même  de  la 
hardiesse  de  son  projet,  il  charge  de  l'exécution  le 
monarque  danois,  et  demande  l'adhésion  de  Hu- 
gues, qui  consent  à  tout.  Aigrold  ravage  nos  pro- 
vinces pour  attirer  contre  lui  toutes  les  forces  du 
roi.  Louis  pari  en  effet  de  Laon  à  la  têle  de  ses 
Iroupes.  Au  bruit  de  son  arrivée,  Aigrold  simule 
quelque  crainte  et  sollicite  une  entrevue.  Fier  d'un 
hommage  qu'il  croit  rendu  à  sa  supériorité,  Louis 
l'accorde  sans  peine;  mais  pendant  que  les  deux 
princes  s'abouchent,  les  Normands  cherchont, 
à  dessein,  querelle  aux  Français;  les  armes  sont 
tirées,  les  seigneurs  de  la  suite  du  roi  succombent, 
et  lui-même  ,  cherchant  son  salut  dans  la  fuite ,  est 
arrêté,  puis  conduit,  par  Bernard,  prisonnier 
à  Rouen. 

A  cette  nouvelle,  la  reine  Gcrbcrge  remplit  I'Fai- 
rope  de  ses  plaintes;  elh;  implore  le  secours  do 
l'emporour  Henri;  olle  conjure  Hugues  de  délivrer 


—  (r2  — 
son  ôpoux.  Le  comlc;  iiUervi(3nl  en  ellel,  tlùli- 
vre  le  roi  ;  et  lui,  qui  avait  trempé  dans  cette  in- 
trigue, est  ainsi  assez  heureux  pour  devoir  s'attri- 
buer sans  conteste  le  nom  de  libérateur  de  son 
prince.  Sa  protection  coula  à  Louis  le  château  de 
Laon. 

La  bonne  harmonie  se  trouvait  donc  rétablie  en- 
core une  fois  entre  le  souverain  et  son  vassal  ;  mais 
les  craintes  du  roi  devaient  promptement  la  dis- 
soudre. Hugues  avait  fiancé  sa  fille  bmine  au  jeune 
Richard,  duc  de  Normandie.  Louis  fut  effarouché 
de  cette  alliance;  voulant  la  briser,  il  appela  le 
secours  d'Arnould  de  Flandre,  qui  redoutait  le 
voisinage  des  Normands,  et  Othon,  empereur  d'Al- 
lemagne,  qui  rêvait  déjà  les  dépouilles  promises 
de  la  Lorraine.  Hugues,  dès  lors  poussé  à  la  ré- 
volte, prend  les  armes,  balles  troupes  d'Othon  et 
le  renvoie  mûrir  ses  rêves  dans  son  empire.  Après 
cette  défaite,  Louis,  qui  n'était  pas  de  force  à  lutter 
seul,  rentra  en  bonne  intelligence  avec  son  vassal. 
Cette  fois  la  paix  fui  de  longue  durée.  Le  roi  mou- 
rut. 

Malgré  ses  rivalités  constantes  avec  le  comte , 
Louis,  à  sa  dernière  heure,  lui  recommanda  son  fils 
Lothaire.  Hugues,  qui  n'avait  point  cédé  à  la  puis- 
sance des  armes,  touché  de  tant  de  confiance,  ac- 
cepta la  tutelle  du  jeune  prince.  Sous  ses  auspices, 
Lothaire  prit  possession  du  trône  et  reçut  la  cou- 
ronne, à  Reims,  au  milieu  des  seigneurs  assemblés. 

Un   dernier   exploit  illustra   la   vie  de  Hugues  : 


-  65  — 
Guillaume,  Tête-d'Etoupes ,  comte  de  Poitiers,  re- 
fusait de  se  reconnaître  son  vassal,  à  l'occasion  du 
duché  d'Aquitaine,  que  le  comte  de  Paris  avait 
reçu  du  jeune  roi  Lolhaire  lorsque  celui-ci  monta 
sur  le  trône.  9iS5 

En  peu  de  jours  Hugues  eut  levé  des  troupes 
et  vint  camper  devant  Poitiers.  Le  ciel  parut  pren- 
dre la  défense  de  Guillaume  :  une  tempête  affreuse 
s'éleva  ;  la  pluie  tombait  par  torrents  ;  des  éclairs 
redoublés  déchiraient  les  nuages;  la  foudre  fendit 
même  le  pavillon  de  Hugues,  dont  les  soldats,  épou- 
vantés, s'enfuirentde  leurs  tentes.  Dans  ce  désordre, 
l'Aquitain  se  livre  à  l'attaque;  mais  le  comte  par- 
vient à  rassurer  ses  troupes,  et  Guillaume  laisse 
le  champ  de  bataille  jonché  des  cadavres  des  siens: 
ce  qui  mit  un  terme  aux  combats  ;  ici  finit  la  lon- 
gue carrière  de  Hugues.  Il  avait  vu  s'éteindre  deux 
règnes  entiers  :  ceux  de  Raoul  et  de  Louis-d'Outre- 
mer  ;  il  avait  hâté  l'agonie  de  la  puissance  de  Ghar- 
les-le-Simple ,  et,  sur  la  fin  de  ses  jours,  il  gérait  050 
la  tutelle  et  soutenait  le  trône  de  Lothaire. 

Arrêtons-nous  un  instant.  L'histoire  des  comtes 
de  Paris  nous  présente  une  série  d'hommes  qu'on 
peut  appeler  grands,  comparativement  à  l'époque 
où  ils  vivaient  et  aux  monarques  pusillanimes  dont 
ils  démembraient  pièce  à  pièce  la  royauté.  On  di- 
rait qu'il  en  est  de  la  destinée  de  certaines  familles 
comme  il  en  a  été  de  la  destinée  de  tous  les  peu- 
ples jusqu'à  nos  jours.  Des  profondeurs  de  la  Bar- 
barie ils  so  sont  élevés  pas  à  pas  à  un  degré   plus 


—  G4  — 
ou  mollis  liîuil  lie  civilisation  ,  el  puis  ,  comme  si 
celle  marclie  avait  usé  leur  vie  et  leur  puissante 
organisation,  après  être  restés  quelque  temps  sta- 
tionnaires,  ils  ont  redescendu  l'échelle  sociale 
pour  aller  se  retremper  dans  la  Barbarie,  qui  est 
l'enfance  des  nations. 

La  famille  des  Pépin,  sous  la  première  race, 
une  fois  sortie  de  l'obscurité  par  le  mérite  per- 
sonnel de  son  chef,  s'élève  rapidement  à  ses  hautes 
destinées.  Mais  là  son  rôle  finit;  elle  avait  donné 
à  la  France  des  maires  du  palais  d'une  rare  verlu 
militaire  et  d'une  habileté  incontestable  ;  par  un 
dernier  effort,  elle  produisit  Charlemagne ,  qui 
emporta  avec  lui  dans  la  tombe  le  génie  et  la  gran- 
deur de  sa  race. 

Robert  commence  la  fortune  des  comtes  de  Pa- 
ris ;  il  est  le  plus  brave  et  le  plus  heureux  des 
guerriers  de  son  temps.  C'était  par  les  armes  que  sa 
famille  devait  arriver  au  trône  ,  et  l'art  de  la  guerre 
se  retrouve  en  action  chez  tous  ses  descendans  jus- 
qu'à ce  qu'ils  aient  atteint  leur  but.  C'est  sur  le 
champ  de  bataille  que  Eudes  et  Robert  conquièrent 
leur  gloire  et  leur  titre  de  roi;  c'est  les  armes  à  la 
main  que  Hugues-le-Grand  fonde  sa  puissance  et 
qu'il  la  soutient.  Il  est  sans  contredit  le  plus  grand 
des  comtes  de  Paris  :  brave ,  actif,  ambitieux ,  en- 
treprenant, il  avait  toutes  les  qualités  nécessaires 
pour  faire  un  usurpateur.  Il  mène  en  quelque 
sorte  à  son  terme  la  destinée  de  sa  famille  ;  cl  puis 
on  voit  la  race  de  Roborl-lc-Forl  sensiblement  dé- 


—  6o  — 
cliner.  Assise  sur  le  trône  da  France  ,  sous  le  nom 
de  dynastie  capétienne,  les  premiers  rois  qu'elle 
donne  à  la  France  ne  remplissent  pas  i'allenle 
qu'avaient  fait  concevoir  les  comtes  de  Paris.  Les 
historiens  modernes  ont  criliqué  avec  amerlume 
l'indolence  et  la  faiblesse  des  premiers  capétiens. 
Leurs  reproches  sont  en  géîiéral  fondés  ;  il  n'est 
pas  vrai,  cependant,  que  ces  rois  aient  manqué 
tout-à-fait  d'énergie  et  de  résolution.  Lisez  leur 
histoire ,  vous  les  verrez  Intervenir  sans  cesse  soit  à 
main  armée ,  soit  par  des  négociations  dans  les  af- 
faires du  comté  de  Bourgogne  ,  du  comté  d'Anjou  , 
du  comté  du  Maine  ,  du  dacké  d' Aquitaine ,  du  du- 
ché de  Normandie  ;  en  un  mot ,  dans  les  affaires  de 
tous  leurs  voisins  et  mêma  des  seigneuries  fort  éloi- 
gnées d'eux. 

D'ailleurs,  les  cii  constances  étaient  changées  ;  il 
ne  faut  pas  perdre  de  vue  le  caractère  de  l'élévation 
de  Hugues  Capet  au  trône;  elle  fut,  nous  l'avons  dit, 
ime  transaction  avec  les  seigneurs,  et  dès  lors  il  ne 
pouvait  affecter  l'indépendance  et  ressaisir  la  toute- 
puissance  de  Charlemagne.  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
est  vrai  de  dire  qu'il  n'avait  ni  la  hauîeur  ni  le 
génie  de  son  père.  Hugues  Capet  parvint  à  son 
but  en  flattant  le  clergé  et  la  noblesse.  Hugues-le- 
Grand  marchait  à  Texécution  de  ses  desseins  en 
bravant  les  résistances  partout  où  il  les  rencon- 
trait. Il  renouvela  l'étonnant  spectacle  que  nous 
présente  la  fin  de  la  première  race  :  un  roi  sm-  le 
trône,  et,  plus  puissant  que  lui,  un  sujet  qui  l'écrase  : 

3 


—  f>0  — 

l'Élnt  marchant  ainsi  avec  une  double  tête,  jusquà  ce 
que  la  plus  forte  fasse  sécher  L'autre. 

Hugues-le- Grand  laissa  quatre  (ils  :  Othon  et 
Henri,  qui  successivement  occupèrent  le  duclié  de 
Bourgogne;  Odon  ou  Eudes,  qui  s'engagea  dans 
les  ordres  sacrés,  et  Hugues ,  surnommé  Capet  ; 
celui-ci  n'était  encore  âgé  que  de  dix  ans  à  la 
mort  de  son  père.  On  dit  que  Hugues-le-Grand , 
redoutant  pour  son  fds  les  dangeis  de  la  mino- 
rité en  présence  d'une  rovauté  rivale,  le  recom- 
manda à  Richard  ,  duc  de  Normandie.  Cette  pro- 
tection lui  fut  inutile;  Hugues  Capet  resta  paisible 
possesseur  de  ses  fiefs  ,  et  l'indolent  T.othaire  le 
laissa  grandir  à  l'aise  jusqu'à  ce  que  le  comte  de 
965  Paris  fût  en  âge  de  pouvoir  agir  et  qu'il  pût 
rompre  sérieusement  avec  lui  :  ce  qui  ne  man- 
qua pas  d'arriver  en  etfet.  La  puissance  de  Hu- 
gues fit  ombréjge  à  Lothaire,  et  plus  d'une  fois 
l'empereur  Othon-le-Grand  intervint  pour  les  ré- 
concilier. Rien  cependant  n'annonçait,  dans  le 
comte  de  Paris,  ni  cette  supériorité,  ni  cette  ambi- 
tion qui  distinguent  un  usurpateur.  Ses  premières 
années  s'écoulèrent  dans  l'ombre  ,  et  il  ne  figura 
comme  un  personnage  important  sur  la  scène  po- 
litique ,  que  dans  l'année  978  ,  à  l'occasion  de  la 
guerre  qu'Olhon  H,  fils  d'Othon-le-Grand,  avait 
déclarée  à  la  France.  Un  jour  qu'Othon  H,  sans 
défiance,  se  trouvait  dans  son  palais  d'Aix-la- 
Chapelle,  Lothaire,  qui  redoutait  ses  vues  ambi- 
tieuses et  qui  crut  le  moment  favorable,  vint  l'at- 


—  67  — 

laquer  à  l'improviste.  L'empereur  était  à  table,  dî- 
nant tranquillement  avec  sa  femme  lorsqu'il  faillit 
être  surpris.  Il  envoya  aussitôt  un  héraut  annoncer 
au  roi  de  France  que  le  1^'  octobre  prochain  il 
irait  le  visiter  dans  ses  Etats. 

Olhon  tint  parole  ;  et  le  4"  octobre  ,  après  avoir 
ravagé  les  diocèses  de  Reims,  de  Laon ,  etc.,  il  ar- 
riva sans  résistance  jusque  sur  les  hauteurs  de 
Monlmartre;  alors  il  envoya  dire  à  Hugues  Capet 
qu'il  allait  faire  chanter  un  Aiieluia ,  par  tant  de 
clercSy  qu'il  le  pourrait  bien  ouïr.  Bientôt,  en  effet, 
C Aiieluia  commença;  les  cris  tumultueux  des  sol- 
dats et  le  bruit  des  armes  se  mêlèrent  aux  chants 
des  prêtres,  et  tout  Paris  put  entendre  retentir  : 
Aiieluia  te  martyr um  candidatus  laudat  exercitus 
Domine.  Au  reste,  toutes  ces  grandes  menaces 
de  guerre  ne  furent  que  de  la  fumée;  il  y  eut 
beaucoup  de  bravades  et  peu  de  sang  versé  ;  un  an 
plus  tard,  la  paix  fut  conclue,  et  Lothaire  céda,  980 
sans  aucun  motif,  la  Lorraine  à  l'empereur.  Cette 
concession  et  d'autres  qu'il  fit  tout  aussi  mal  à  pro- 
pos, attirèrent  sur  sa  tête  le  mépris  général.  11 
mourut  en  986  et  fui  enterré  à  Reims.  A  sa  mort, 
l'ambition  de  Hugues  Capet  parut  devenir  plus  ac- 
tive ,  mais  son  intrigue  pour  arriver  au  trône  nous 
échappe:  il  avait  le  talent  de  s'avancer  dans  l'om- 
bre. Une  agitation  violente  se  manifeste  de  toutes 
parts  ;  deux  partis  divisent  la  France  :  d'un  côté ,  la 
reine  Emma,  femme  de  Lothaire,  avec  son  fils, 
Louis  V,  dit  le  Fainéant  ;  de  l'autre,  Hugues  Capet  et 


—  b'8  — 

quelques  seigneurs  remuans.  Des  mouvemens  mi- 
lilaires  eurent  lieu  dans  les  diocèses  de  Caen,  de 
Reims,  etc.  ;  ce  furent  surtout  les  soldais  de  la  reine 
qui ,  conduits  par  les  comtes  Olhon  et  Hériberl ,  dé- 
ployèrent une  grande  activité;  mais  toutes  leurs 
opérations  n'aboutirent  qu'à  faire  tomber  au  pou- 
voir du  parti  ennemi  Emma  avec  Adalbert,  évêque 
de  Laon ,  son  favori  ;  Charles  de  Lorraine  l'en- 
ferma dans  ses  prisons.  Dès  ce  moment  la  grande 
affaire,  comme  l'appelait  Gerbert,  secrétaire  d'A- 
dalbert,  archevêque  de  Reims ,  précipita  son  dé- 
noûment.  Louis  V  mourut  le  21  mai  987,  sans 
avoir  eu  le  temps  de  rien  entreprendre.  Cepen- 
dant Hugues  Capet  s'était  rapproché  d'Othon , 
l'empereur  de  Germanie  ;  il  avait  pour  lui  le  clergé 
et  quelques  seigneurs  puissans.  Ce  fut  en  vain  que 
Charles  de  Lorraine  essaya  de  faire  valoir  ses  pré- 
tentions et  de  réclamer  l'appui  des  grands  du 
royaume.  Pendant  qu'il  intriguait ,  Hugues  Capet 
s'était  fait  saluer  roi ,  à  Noyon,  par  son  armée  ,  et 
l'archevêque  de  Reims  lui  avait  conféré  l'onction 
987  royale  le  3  juillet  987.  Sa  vie  désormais  ne  nous 
appartient  plus;  il  fut  le  dernier  comte  de  Paris  qui 
jeta  quelque  éclat.  Après  lui,  nous  trouvons  Odon  , 
mais  nous  n'avons  rien  de  particuher  à  dire  sur  son 
sujet;  les  documens manquent  pour  l'histoire  géné- 
rale ,  et  à  plus  forte  raison  pour  l'histoire  d'un  sim- 
ple seigneur.  Nous  savons  seulement  qu'en  1032 
il  mourut  sans  laisser  d'enfans  et  qu'alors  s'éteignit 
le  tilre  de  comte  de  Paris. 


—  GO  — 
Mais ,  par  une  inspiration  d'autant  plus  augusle 
qu'elle  est  toute  due  à  un  sentiment  de  gratitude 
pour  la  ville  de  Paris ,  le  chef  de  la  dynastie  cons- 
titutionnelle vient,  après  un  intervalle  de  plusieurs 
siècles,  renouveler  ce  titre  en  faveur  du  premier- 
né  de  l'héritier  présomptif  du  trône. 


TROISIEMK  SERIE. 


4jbiâ  ^^ï£è'^^  m^^  c^4iu^a^, 


.*k>nimaire, 

'Naissance  lie  Louis -IMiilippe- Albert  d'Orléaus.  — Le  Roi,  sou 
grand-père  ,  lui  confère  ,  iuunédiatenient  après  qu'il  est  né,  le 
titre  de  Comte  de  Paris.  —  Renaissance  de  ce  titre.  —  Scène  de 
famille.  — L'acte  de  naissance  est  r<5digé.  —Le  maréchal  comte 
Gérard  et  le  maréchal  comt«  Lobeau  y  assistent  connue  témoins. 

—  L'archevêque  de  Paris  ,  monseigneur  de  Quélen  ,  se  rend  auv 
Tuileries  pour  ondoyer  l'enfant  royal  nouveau-né.  —  La  ville  de 
Paris  vote  des  réjouissances  publiques  en  l'honneur  de  ces  événe 
mens.— Le  Roi  fait  distribuer  d'abondans  secouj's.  — Discours  de 
M.  le  comte  de  Rambuteau,  préfet  de  la  Seine.— Réponse  du  Roi. 
— Laps  de  temps  qui  s'écoule  entre  la  naissance,  l'ondoyement  et 
les  cérémonies  du  baptêm«.  —  Lettre  du  ministre  des  cultes  aux 
tîvêques  du  royaume,  à  l'occasion  de  la  fête  du  Roi  et  du  bap- 
tême de  son  petit-fils.  —  Lettre  de  monseigneur  l'archevêque  dt^ 
Paris  à  tons  les  curés  de  son  diocèse  ,  sur  le  même  sujet.  —  Fête 
du  Roi.  —  Article  du  Moniteur.  —  Grande  réception  à  la  cour  à 
l'occasion  de  la  fête  du  Roi  et  du  baptême  du  comte  de  Paris.  — 
Réception  de  monseigneur  l'archevêque  de  Paris  et  de  son  clergé. 

—  Discours  de  monseigneur  l'archevêque.  — Réponse  du  Roi.  — 
Grâces  accordées  par  le  Roi.  —  Notice  sur  les  baptêmes  des  fils  et 
des  petits-fils  des  Rois.  —  Son  Altesse  Royale  madame  la  du- 
chesse d'Orléans,  avec  son  fils,  le  comte  de  Paris,  visite  la  sa'le 
d'asile-modèle  de  la  capitale. —  Extrait  du  Moniteur  Parisien 
sur  cette  royale  et  intéressante  visite.  —  Baptême  du  comte  de 
Paris. — Le  préfet  de  la  Seine  remet  au  comte  de  Paris  l'épee 
qui  lui  est  offerte  par  la  ville  de  Paris.  —  Banquet  royal.  -  Con- 
cert du  Louvre.  —Conclusion, 

C'est  le  vendredi  2^  août  1838  ,  qu'est  né  ,  au 
château  des  Tuileries  ,  Louis-Philippe-Albert  d'Or- 
l<éans  ,  à  qui  le  roi ,  son  grand -j)ère  ,  a  conféré  im- 


—  72  — 

médialcmcnt  le  lilre  de  comte  de  Paris.  Dès  dix 
lieures  du  malin,  tous  les  membres  de  la  la- 
millo  royale  ,  madame  la  grande  duchesse  de  Mec- 
klembourg,  son  altesse  royale  monseigneur  le  duc 
de  Wurtemberg ,  étaient  réunis  au  pavillon  Mar- 
san. En  même  temps  le  roi  avait  fait  avertir,  par  le 
général  baron  Athalin ,  de  se  rendre  au  château, 
M.  Mole,  président  du  conseil  des  ministres  et  ses  col- 
lègues; M.  le  baron  Pasquier,  chancelier  de  France; 
M.  le  duc  Decazes  ,  grand  référendaire  ;  M.  Cauchy, 
garde  des  archives  de  la  chambre  des  pairs;  MM.  les 
maréchaux  comtes  Lobeau  et  Gérard.  Lorsque  le 
moment  de  la  délivrance  approcha,  tous  ces  hauts 
fonctionnaires  furent  introduits  dans  la  chambre 
de  la  princesse  pour  constater  la  naissance  de  l'en- 
fant; il  vint  au  monde  à  deux  heures  cinquante 
minutes  de  l'après-midi.  A  la  vue  du  nouveau- 
né ,  M.  Mole,  dans  un  élan  spontané  de  Tâme , 
s*écria  :  Nous  avons  un  prince ,  et  il  s'empressa  de 
porter  celte  heureuse  nouvelle  aux  personnes  qui 
se  trouvaient  réunies  dans  le  pavillon  Marsan. 
Elle  fut  accueillie  par  des  cris  de  :  Fivc  te  Roi  ! 
Là  se  trouvaient  MM.  Dupin ,  président  de  la 
chanibre  des  députés;  le  comte  Portalis,  premier 
[)résident  de  la  cour  de  cassation;  le  comte  Si- 
méon  ,  premier  président  de  la  cour  des  comp- 
tes; le  baron  Séguier,  premier  président  de  la  cour 
royale  de  Paris  ;  le  lieutenant-général  comte  Pa- 
jol ,  eonimandanl  la  première  division  militaire; 
le  comte  (!<•  liand)uteau  et  M,  Delosserl ,  [)rélV'ts;  le 


—    /o  — 

général  Jacqueniinol ,  chef  de  l'élal-major  général 
(le  la  garde  nationale  ;  et  les  dames  et  les  ofliciers  de 
!a  maison  du  roi,  de  la  reine  et  des  princes. 

Dans  la  cour  du  château  stationnait  une  foule 
nomhreuse,  qui  manifestait  vivement  sa  satisfac- 
tion, tandis  que  le  canon  des  Invalides,  par  ses 
cent  une  détonnations,  annonçait  à  tout  Paris  la 
naissance  du  prince. 

Cependant  il  se  passait  dans  la  chamhre  à  cou- 
cher de  la  princesse  une  scène  toute  d'attendris- 
sement, toute  de  famille.  Le  prince  royal ,  près  du 
lit  de  son  épouse,  laissait  éclater  son  contente- 
ment; la  reine  versait  des  larmes  de  joie  ;  et  le  roi, 
profondément  ému  en  songeant  à  ce  nouveau  gage 
de  la  perpétuité  de  sa  dynastie,  tenait  sa  belle- 
lille  serrée  dans  ses  bras. 

L'acte  de  naissance  fut  rédigé  sur-le-champ  par 
M.  le  baron  Pasquier,  chancelier  de  France, 
président  de  la  chambre  des  pairs,  remplis- 
sant, en  celte  occasion,  d'après  l'ordonnance  du 
23  mars  1816,  les  fonctions  d'officier  de  l'état 
civil.  Il  était  assisté  de  M.  le  duc  Decazes  ,  grand 
référendaire  de  la  chambre  des  pairs,  cl  de 
M.  Cauchy,  garde  dos  archives  de  celte  cham- 
bre. 

!\L  le  maréchal  comte  Gérard  et  M.  le  maré- 
chal comte  Lobeau  étaient  témoins  ;  la  famille 
royale  elle  corps  des  minisires  figuraient  en  qua- 
lité d'assistans.  L'acte  de  naissance  porto  donc  les 
signatures  suivantes  : 


—  74  — 

Louis-Pliilippe  ; 

iVIarie-Amélie  ; 

Ferdinand-Philippe  d'Orléans  ; 

Auguste,  grande   duchesse  douairière  de    iVkc- 
klembourg  ; 

Henri-Eugène-Pliilippe  d'Orléans  ; 

Anloine-Marie-Philippe  d'Orléans  ; 

Clémentine  d'Orléans  ; 

Eugène-Adélaïde-Louise  d'Orléans  ; 

Alexandre,  duc  de  Wurtemberg  ; 

Mole; 

Barthe  ; 

Bernard; 

Rosamel  ; 

Montalivet; 

N.  Martin  (duiNord)  ; 

Salvandy  ; 

J.  Lacave-Laplagrie  ; 

Maréchal  comte  Gérard  ; 

Lobeau ; 

Pasquier; 

Duc  Decazes  ; 

Cauchy. 

Sur  la  demande  du  roi ,  l'archevêque  de  Paris , 
monseigneur  de  Quélen,  se  rendit  avec  empresse- 
ment aux  Tuileries  pour  ondoyer  l'enfanl.  La  cé- 
rémonie se  passa  dans  la  chapelle  du  palais;  c'é- 
tait la  reine  elle-même  qui  tenait  son  petit-fils. 

La  ville  de  Paris  vola  des  réjouissances  publi- 
ques en  l'honneur  de  cet  heureux  événement,  et 


-•  75  — 
la  famille  royale  ne  voulant  point  laisser  de  cœurs 
tristes  au  milieu  de  sa  joie  ,  signala  sa  bienfaisance 
par  des  largesses  considérables.  Le  roi  fit  distribuer 
des  secours  aux  pauvres  des  douze  arrondissemens 
de  Paris,  aux  pauvres  de  Compiègne,  de  Fontaine 
bleau,  à  ceux  d'Amboise,  de  Vernon,  etc.  ;  la  du- 
chesse d'Orléans  voulut  qu'on  délivrât  à  tous  les 
enfans  nés  dans  la  capitale  le  même  jour  que  Son 
Altesse  royale,  un  livret  de  caisse  d'épargne  avec 
mise  de  100  francs.  Un  jour  peut-être  ces  enfans, 
sans  autre  dot  que  celle  qu'ils  tiendront  de  la  muni- 
ficence d'une  mère,  béniront  la  naissance  de  son 
(ils  ! 

Dans  les  provinces,  l'allégresse  publique  ne  se 
manifestait  pas  moins  vive  qu'à  Paris,  et,  de  tous 
les  coins  de  la  France,  le  roi  recevait  des  félicita- 
tions. Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  tous  ces 
témoignages  de  sympathies  ;  ils  dédommagent  bien 
la  dynastie  constitutionnelle  des  attaques  sourdes 
et  des  clameurs  des  partis  :  c'est  la  meilleure  preuve 
qu'elle  remplit  la  haute  mission  qui  lui  a  été  confiée. 

Je  passerai  également  sous  silence  les  discours 
qu'adressèrent  au  roi,  en  cette  occasion,  les  grands 
corps  de  l'Etat;  mais  je  me  plais  à  répéter  les  no- 
bles paroles  du  corps  municipal  de  Paris,  lors- 
qu'ayant  à  sa  tête  le  comte  de  Rambuteau  ,  préfet 
de  la  Seine,  il  vint  féliciter  le  roi,  sanctionner  le 
titre  de  comte  de  Paris  qu'il  avait  donné  à  son  pe- 
tit fils,  et  déposer  une  épée  sur  le  berceau  du  jeune 
prince  : 


76 


«  Sire , 

»Le  corps  municipal  de  Paris  est  profondément 
touché  et  reconnaissant  du  sentiment  quia  inspiré 
à  Votre  Majesté  le  cboix  de  ce  titre  de  comte  de 
Paris,  qu'elle  a  voulu  donner  au  premier  rejeton 
de  l'alné  de  ses  fils.  A  ce  titre  se  rattachent  des 
souvenirs  augustes  pour  celte  cité;  il  est  de  bon 
augure  pour  l'avenir  du  prince  qui  le  portera  et 
un  lien  de  plus  entre  lui  et  nous. 

«Aussitôt  que  la  nouvelle  a  été  connue  à  l'Hôtel- 
de-Ville,  le  conseil  municipal  s'est  assemblé;  il  a 
volé  des  réjouissances  publiques  et  le  don  d'une 
épée  au  comte  de  Paris.  Cette  épée ,  dans  la  pen- 
sée du  corps  municipal,  ne  doit  point  rappeler 
celle  de  Charlemagne  ou  celle  de  Napoléon  ;  à  l'es 
prit  de  conquête  a  succédé  l'esprit  d'ordre  et  de  li- 
berté que  votre  règne  fait  aimer  et  estimer.  Per- 
mettez-nous de  le  dire,  Sire,  c'est  une  épée  sembla- 
ble à  celle  de  Louis-Philippe  que  nous  apportons 
à  son  jielit-fils ,  c'est  à  dire  l'épée  (jui  no  sort  du 
fourreau  que  pour  la  défense  du  territoire  ;  1  épée 
du  prince  qui  sait  à  la  fois  se  faire  respecter  de 
l'Europe  et  consolider  en  France  le  règne  de  la 
liberté  sous  les  lois.  » 

Le  roi  a  répondu  : 

«   Je  suis  bien  touché  des    sentimens   que  mo 
>>  témoigne  la  ville  do  Paris  dans  colle  circouslance 


))et  dont  vous  êlos  le  cligne  organe.  Il  m'esl  doux 
j)  de  pouvoir  présenter  à  la  ville  de  Paris  le  premier 
«rejeton  de  mes  enfans  en  ligne  directe,  le  fds  aînô 
>)de  celui  qui  est  appelé  après  moi  à  répondre  au 
>)  vœu  national  et  à  en  assurer  l'accomplissement.  Je 
«jouis  de  voir  se  consolider  de  plus  en  plus  le  choix 
»  de  1830,  et  la  France  préservée  des  dangers  insé- 
«parables  de  toute  vacance  du  trône,  par  cette  se- 
»rie  d'héritiers  que  m'accorde  la  Providence  et  qui 
»  garantit  à  la  fois  la  transmission  du  trône,  et  la 
»  durée  de  ce  repos  et  de  cette  sécurité  si  nécessaires 
»  au  bonheur  de  la  nation.  Pour  moi  personnelle- 
»  ment,  j'éprouve  une  satisfaction  toute  particulière 
»  à  faire  porter  à  mon  petit-fils  le  titre  de  comte  do 
»  Paris.  Enfant  de  Paris  comme  moi,  il  jouira  de  l'a- 
u  vantage  de  pouvoir  porter  un  titre  qui  le  rattache  h 
«notre  ville  natale,  h  la  population  au  milieu  de  la- 
»  quelle  j'ai  été  élevé  comme  il  le  sera,  titre  qui  ma- 
wnifeste  à  tous  l'afTection  que  je  porte  à  la  ville  de 
«Paris,  et  combien  j'apprécie  les  efforts  généreux 
«qu'elle  a  faits  dans  tous  les  temps  pour  défendre 
»  les  libertés  publiques.  C'est  le  patriotisme  dont 
)>elle  a  donné  tant  de  preuves  à  la  France,  c'est  le 
»  dévoûment  qu^elle  a  montré  dans  les  circonstances 
»les  plus  difficiles,  c'est  enfin  le  courageux  appui 
«que  j'ai  trouvé  en  elle,  qui  a  fortifié  la  confiance 
vdans  la  stabilité  de  ma  race  en  la  fondant  sur  la 
))  défense  et  le  maintien  de  nos  institutions. 

«  Je  vous  remercie  du  don  que  vous  m'annonce/ 
»pour  mon  petit-fils  ;  j'espère  que  les  paroles  dont 


—  7S  — 

))Vous  l'accompagnez  seront  gravées  dans  sa  mé- 
»  moire,  que  celle  épée  sera  dans  ses  mains  la  ga- 
«  ranlie  de  la  paix,  et  que  toujours  prêt  à  l'employer 
»  pour  préserver  notre  honneur  national  de  toute 
»  atteinte,  et  notre  territoire  de  toute  invasion  ,  ce- 
»  pendant  elle  ne  sortira  jamais  du  fourreau  qu'à 
«bonnes  enseignes,  et  que,  si  elle  en  sort,  ce  sera 
«toujours  pour  hâter  le  terme  des  maux  de  la 
«guerre,  et  pour  faire  jouir  la  France  de  la  plus 
«douce  et  de  la  plus  belle  des  conquêtes,  la  con- 
»  quête  de  la  paix.  » 

De  vifs  applaudissemens avaient  accompagné  ces 
paroles,  lorsque  tout-à-coup  la  Reine,  inspirée  par 
un  sentiment  plein  de  délicatesse  et  de  bienveil- 
lance ,  vint  présenter  elle-même  à  l'assemblée  son 
petit-fds,  et  doubler  la  joie  et  l'effusion  de  cette 
solennelle  audience. 

Plus  de  deux  ans  se  sont  écoulés  depuis  la  nais- 
sance du  comte  de  Paris,  jusqu'au  moment  où 
l'on  devait  suppléer  les  cérémonies  usitées  dans  l'é- 
glise catholique  pour  les  enfans  qui  ont  été  déjà  on- 
doyés  ;  mais  pendant  ce  laps  de  temps  ,  l'espérance 
et  l'intérêt  qui  s'attachent  à  ce  rejeton  d'une  auguste 
famille ,  ne  se  sont  point  démentis.  On  a  suivi  avec 
une  sorte  de  mélange  d'inquiétude  et  de  joie  toutes 
les  phases  de  cette  jeune  vie;  on  a  plus  d'une  fois 
béni  le  ciel  d'avoir  préservé  de  tout  péril  les  jours 
de  cet  enfant  si  paré  de  grâces  et  si  riche  d'avenir.  Le 
Roi,  qui  connaît  tout  l'attachement  que  la  France 
laitière,  et  la  ville  de  Paris  en  particulier,  porte  à 


—  TU  — 
son  jeune  comte,  a  voulu,  pour  rendre  la  cérémo- 
nie du  baptême  de  son  petit-fils  plus  nationale  et 
plus  solennelle  ,    la   faire    célébrer  le   lendemain 
même  de  sa  propre  fête. 


r.etlre  de  monsieur  le  ministre  de  la  justice  et 
des  cultes  à  NN.  SS.  les  évêques  ,  à  l'occasion  de 
la  fête   du  lloi  et  du  baptême  du  comte  de  Paris  : 

«  Monseigneur, 

»  Le  Roi  a  voulu  que  le  jour  de  sa  fête  fût  aussi 
celui  du  baptême  de  son  petit-fils,  le  Comte  dk 
Paris;  la  religion  doit  prêter  son  concours  à  cette 
double  solennité  nationale.  Le  gouvernenoient 
compte  sur  l'empressement  dont  MM.  les  Arche- 
vêques et  Évêques  lui  donnent  chaque  année  des 
preuves,  et  il  s'en  remet  à  vous  ,  Monseigneur,  du 
soin  d'appeler,  par  les  prières  de  l'Eglise,  les  béné- 
dictions du  ciel,  et  sur  le  roi  que  la  Providence  a 
toujours  si  visiblement  protégé,  et  sur  le  j)rincedonl 
la  naissance  fut  im  gage  nouveau  de  la  stabilité  du 
li'ône  et  de  la  perpétuité  de  nos  institutions. 

»  Les  autorités  civiles  et  militaires  s'entendront 
avec  vous  sur  les  dispositions  que  vous  prendrez  à 
ce  sujet.  J'écris  à  MM.  les  Préfets  pour  leur  en  don- 
ner avis. 


—  80  — 

»  Jiî  vous  prie,  MonseigntMir,  de  vouloii  hicMi 
transmoUie ,  sans  délai,  niix  curés  et  desservans 
de  voire  diocèse,  les  inslruclions  nécessaires,  afin 
qu'ils  puissent  se  concerter  à  temps  avec  les  auto- 
rités locales. 

>»  Agréez,  etc. 

»  Le  G arde-des- Sceaux ,   ministre  secré- 
taire d'état  de  la  Justice  et  des  cultes , 

')  N.   Martin  (du  Nord).  » 


LETTRE  DE  MONSEIGNEUR  L  ARCHEVÊQl  E  DE  PARIS 

A    TOUS   LES   CljntS   DE    SON   DIOCftSE, 

Sur  le  même  sujet. 

«  Paris,  le  20  avril  i8/tl. 

»  Monsieur  le  Curé  , 

1)  L'église  prie  pour  les  princes,  afin  qu'ils  ré- 
gnent pour  le  bonheur  des  peuples.  C4etle  grâce, 
nous  la  solliciterons  avec  plus  d'empressement 
cette  année  ,  où  le  Roi  a  voulu  consacrer  le  lende- 
main de  sa  fête  par  une  solennité  bien  chère  à  son 
cœur.  Le  2  mai,  les  cérémonies  du  baptême  seront 
suppléées  à  Son  Altesse  Royale  le  comte  de  Paris. 
Nous  prierons  le  Seigneur  de  bénir  cet  auguste  en- 
fant; nous  le  prierons  de  bénir  le  monarque,  de 
le  proléger,  de  lui  envoyer  le  secours  du  ciel,  de 
le  dêfendi'e,  de  le  soutenir  dans   tous  ses  desseins 


—  81  — 

pour  la  paix  t;t  pour  la  prospérité  de  la  France  : 
tels  sont  les  vœux  que  nous  ferons  monter  vers 
Dieu ,  en  chantanl  le  caniique  du  roi-prophète 
consacré  à  les  exprimer. 

»  En  conséquence,  le  samedi  1^"^  mai,  on  chan- 
tera dans  toutes  les  églises  paroissiales  du  diocèse  la 
messe  des  apôtres  saint  Philippe  et  saint  Jacques, 
du  rit  solennel  mineur. 

»  On  ajoutera  à  la  messe  les  oraisons  pour  le  Roi 
et  sa  famille.  [Missal.  Paris»  inter  Oratlonvs  ad  di- 
versa,  n"  15.) 

»  A  l'issue  de  la  messe ,  on  chantera  le  psaume 
Exaudiat,  le  verset  Fiat  manus  tua,  et  l'oraison 
(^lœsumus  omnipotens  Deus, 

»  Vous  vous  entendrez  avec  qui  de  droit  pour 
l'heure  de  la  cérémonie,  et  vous  y  convoquerez  les 
autorités  qui  ont  coutume  d'être  invitées  en  pareille 
circonstance. 

»  Recevez,  Monsieur  le  Curé,  l'assurance  de  mon 
sincère  attachement. 

»  -f  Denis  ,  Archevêque  de  Paris,  » 


PRÉFECTURE  DU  DÉPARTEMEiNT  DE  LA  SEINE. 
FÊTE  DU  ROI, 

1*"^  Mai  1841. 

Héceptions  du  corps  municipal.  —  Le  !•"  mai ,  ù 
midi ,  le  corps  municipal  de  la  ville  de  Paris,  avant 


—  82  — 

à  sa  lèle  le  préfet  du  département  de  la  Seine  et  lo 
préfet  de  police,  se  rendra  en  cortège  au  palais  des 
Tuileries,  où  il  aura  l'honneur  d'être  admis  à  pré- 
senter ses  hommages  au  Roi. 

Distribution  aux  Indi^ens.  —  Le  même  jour,  il  sera 
fait  dans  les  douze  arrondissemens  municipaux  de 
la  ville  de  Paris,  par  les  soins  de  MM.  les  maires 
et  de  MM.  les  membres  des  bureaux  de  charité  , 
une  distribution  de  secours  en  nature  aux  ménages 
pauvres.  Cette  distribution  s'opérera  sur  des  bons 
qui  auront  été  d'avance  délivrés  par  MM.  les  maires. 

De  neuf  à  dix  heures  du  soir,  dans  les  Champs- 
Elysées,  à  la  barrière  de  l'Etoile  et  à  la  barrière 
du  Trône,  feux  d'artillerie  à  étoiles  et  feux  de 
Bengale. 

Réjouissances  publiques  les  l*'  e<  2  mai. 

Depuis  deux  heures  jusqu'à  minuit,  il  y  aura  des 
jeux  et  des  divertissemens  publics  sur  les  divers 
points  ci-après  désignés,  savoir  : 

Champs-Elysées ,  grand  carré.  —  Deux  théâtres 
sur  lesquels  seront  représentées  des  pantomimes 
militaires  et  nationales;  quatre  orchestres  de  danse, 
un  grand  màt  de  cocagne  garni  de  prix. 

Le  grand  carré  et  la  grande  avenue  des  Champs- 
Elysées,  la  place  de  la  barrière  du  Trône  et  le  jar- 
din des  Tuileries  seront  illuminés,  ainsi  que  tous 
les  édifices  publics  de  la  ville  de  Paris. 

Le  2  mai.  Baptême  du  comte  de  Paris. 
A   onze  heures,   la  cérémonie  du  baptême  de 


—  83  — 

Son  Altesse  Royale  Monseigneur  le  comte  de  Paris 
sera  célébrée  dans  l'église  métropolitaine  de  Notre- 
Dame. 

Jardin  des  Tuileries.  —  A  sept  heures  et  demie 
du  soir,  concert  devant  le  pavillon  de  l'Horloge. 

Feux  cCartifice,  —  A  huit  heures  et  demie  du 
soir,  il  sera  tiré  simultanément  deux  feux  d'artifice: 
le  premier  sur  le  quai  d'Orçay;  le  second  à  la  bar- 
rière du  Trône. 

Fait  à  Paris ,  le  26  avril. 

Signé  Comte  «iî  R\mbuti:au. 


On  lit  dans  le  Moniteur: 

«  Les  trois  cardinaux  français,  M.  le  prince  de 
Cro5 ,  archevêque  de  Rouen  ,  i\J.  de  Donald ,  arche- 
vêque de  Lyon,  et  M.  de  Latour-d'Auvergne-Lau- 
raguais,  évêque  d'Arras ,  assisteront  au  baptême 
de  Son  Altesse  Royale  le  comte  de  Paris. 

Monseigneur  l'archevêque  de  Paris  présidera  à 
la  cérémonie.  Il  sera  assisté  par  les  évêques  suf- 
fragans  de  la  métropole. 

Le  Roi ,  à  l'occasion  de  sa  fête,  recevra  : 

Le  30  avril,  à  onze  heures  et  demie  du  matin, 
M.  l'archevêque  de  Paris  et  son  clergé; 

A  huit  heures  du  soir,  les  dames  du  corps  diplo- 
matique; 

A  huit  heures  et  demie,  le  conseil  d'Efat; 


—  84  — 

Le  1"  mai,  à  onze  heures  du  malin  ,  MM.  les 
aides-de-camp  et  officiers  d'ordonnance  du  Roi  el 
des  princes; 

A  onze  heures  et  demie,  MM.  les  ministres  el 
MM.  les  maréchaux  de  France  ; 

A  midi,  les  grandes  dépulalions  de  la  Chambre 
des  pairs  et  de  la  Chambre  des  députés;  les  dépu- 
tés; les  députations  de  la  Cour  de  cassation  et  de 
la  Cour  des  comptes;  le  conseil  royal  de  l'inslruc- 
lion  publique;  la  députation  de  la  Cour  royale; 
l'Institut;  le  corps  municipal  et  les  autres  corps 
constitués;  M.  le  préfet  de  Seine-et-Oise  et  MM.  les 
maires  de  Versailles  et  autres  du  département; 
MM.  les  officiers-généraux  et  supérieurs  qui  ne 
font  point  partie  de  la  garnison,  ainsi  que  MM.  les 
fonctionnaires  civils  et  militaires  et  autres; 

Le  même  jour,  à  deux  heures  et  demie,  MM.  les 
officiers  des  gardes  nationales  de  Versailles  et  au- 
tres du  déparlement  de  Seine-et-Oise  ;  MM.  les  offi- 
ciers de  l'état-major  général  des  gardes  nationales 
du  département  de  la  Seine  ;  MM.  les  ofTiciers  des 
légions  de  la  banlieue  et  de  Paris;  MM.  les  ofTiciers 
composant  l'état-major  des  invalides;  MM.  les  gé- 
néraux et  les  élats-majors  de  la  place ,  ainsi  que 
MM.  les  officiers  des  différens  corps  de  la  garnison 
de  Paris,  et  MM.  les  officiers  de  la  garnison  de 
Versailles. 

A  quatre  heures,  Sa  Majesté  recevra  le  corps  di- 
plomatique. 

Le  !i  mai,  à  huit  heures  el  demie  du  soir,  il  y 


—  m  — 

aura  réception  des  dames.  Les  hommes  seront  ad- 
mis. 

Dispositions  locales.  —  Le  30  avril ,  les  voitures 
de  M.  l'archevêque  et  du  clergé,  des  dames  du 
corps  diplomatique  et  du  conseil  d'Etat  s'arrête- 
ront au  pavillon  de  l'Horloge^ 

Le  1"  mai,  les  voilures  des  ministres  et  des  ma- 
réchaux s'arrêteront  au  pavillon  de  Flore. 

Tous  les  corps  et  dépulations,  reçus  de  midi  à 
deux  heures  et  demie,  entreront  par  le  pavillon  de 
l'Horloge  et  le  grand  escalier. 

MM.  les  officiers  des  états-majors  et  des  légions, 
ainsi  que  ceux  des  gardes  nationales  de  Seine-et- 
Oise,  et  des  garnisons  de  Paris  et  de  Versailles, 
arriveront  par  la  porte  du  Musée,  et  se  réuniront 
dans  la  grande  galerie  du  Louvre,  où  ils  pourront 
entrer  dès  onze  heures  du  matin. 

Toutes  les  personnes  admises  le  U  mai,  à  huit 
heures  et  demie  du  soir,  entreront  par  le  pavillon 
de  riJorloge. 


GRANDE  RECEPTION 

A  l'occasion  de  la  Fête  du  Roi  et  du  Baptême  du  comte  de 

Paris. 

Vendredi  30  avril,  à  onze  heures  et  demie  du 
matin,  le  roi,  à  l'occasion  de  sa  fête  et  du  haptême 
du  comte  de  Paris,  son  petit-Jils,  a  reçu,  dans  la 
salle  du  Trône,  M.  l'archevêque  de  Paris,  acconi- 


—  8t)  — 
pagné  de  son  clergé  diocésain.  Le   prélat  a   pailé 
au  roi  en  ces  termes  : 

«  Sire , 

»Le  désir  le  plus  ardent  du  roi  est  de  voir  le 
clergé  de  cette  capitale  marcher  dans  une  voie  de 
conciliation  et  de  charité.  Cette  voie,  si  conforme 
à  la  nature  de  nos  pacifiques  fonctions,  nous  l'a- 
vons suivie,  Sire,  et  Dieu  a  daigné  la  hénir. 

«Nous  la  suivrons  avec  plus  de  zèle  encore,  s'il 
est  possible  ,  afin  d'attirer  de  nouvelles  et  plus 
abondantes  bénédictions  sur  notre  ministère.  Nous 
sommes  heureux  de  donner  au  roi  cette  assurance. 
Nous  le  prions  de  l'agréer  avec  bonté,  persuadé 
que  nous  ne  pouvons  lui  souhaiter  une  meilleure 
fête,  ni  lui  exprimer  des  senlimens  plus  chers  à 
son  cœur.  » 


GRACES  ACCORDÉES  PAR  LE  ROI 
A  l'occasion  de  sa  Fête  et  du  Baptême  du  comte  de  Paris. 

Le  roi,  à  l'occasion  de  sa  fête  et  du  baptême  de 
Son  Altesse  Royale  le  comte  de  Paris,  sur  le  rap- 
port de  M.  le  garde-des-sceaux,  ministre  de  la  jus- 
tice, a  étendu  sa  clémence  sur  187  individus  con- 
tlamnés  par  les  tribunaux  ordinaires. 

Ils  ont  obtenu,  savoir  : 

156,  remise  du  reste  de  leur  peine; 


--  87  — 

28,  des  commutations  ou  des  réductions; 
3,  remise  de  la  peine  accessoire  de  l'exposition. 

Conformément  aux  intentions  de  Sa  Majesté,  les 
grâces  qu'elle  a  daigné  accorder  recevront  partout 
leur  exécution  le  i"  mai. 

Le  roi,  sur  la  proposition  de  M.  le  maréchal  duc 
de  Dalmatie  ,  président  du  conseil  et  ministre  de  la 
guerre ,  a  aussi  étendu  sa  clémence  sur  520  mili- 
taires condamnés  à  diverses  peines  par  les  conseils 
de  guerre. 

Ils  ont  obtenu  ,  savoir  : 

356,  remise  du  reste  de  leur  peine; 

157,  des  réductions; 

5,  remise  de  la  peine  accessoire  de  l'incapacité 

de  servir  dans  l'armée  ; 
2,  remise  de  la  peine  accessoire  de  l'incapa- 
cité d'occuper  aucun  grade  dans  l'armée. 

Par  décision  du  30  avril,  le  roi  a  daigné  faire  re- 
mise du  reste  de  trois  années  d'emprisonnement 
prononcées  le  31  janvier  18^0,  contre  le  nommé 
Quarré  (Alexandre),  pour  attentat. 

S.  M.  a  également  fait  remise  de  la  peine  de  cinq 
années  d'emprisonnement  prononcées  le  31  janvier 
i8/i0,  contre  le  nommé  Longuet  (Jules),  pour  at- 
tentat à  la  sûreté  de  l'Etat. 


NOTICE 

SUR   LES   BAPTÊMES    DES   FILS   ET    DES   PETITS-FILS   DES   ROIS. 

L'ancienne  monarchie  attachait,  avec  raison,  hi 


—  88  — 
j)luîî  liaulo  importance  à  la  naissance  des  princes 
(j.iji  se  trouvaient,  en  ligne  directe»  appelés  au 
trône.  Les  principes  de  la  royaulé,  que  fortifiaient 
encore  les  senliniens  religieux,  plaçaient  dans  leur 
i)erceau  ,  attendaient  de  leur  baptême,  le  repos., 
l'avenir,  le  salut  de  l'Étal.  Saint  Louis,  (|uand  il 
eciivait  à  ses  amis,  lettres  privées,  signait  quelque- 
lois  Louis  de  Poissy.  Il  aimait  cette  petite  ville;  il  y 
nvait  été  baptisé,  et  souvent  disait  :  Avant  royauté^ 
baptême.  L'un  est  plus  grand  honneur  que  l'autre. 

Ceci  était  vrai ,  surtout  du  temps  de  saint  Louis. 
Et  nous  vo)c>ns  tous  ses  successeurs  mettre  b» 
même  prix  aux  cérémonies  dont  l'Eglise  accom- 
pagne la  naissance  des  princes.  Sous  Cbarles  V, 
le  mot  est  remarquable,  on  chrélienna  son  fils,(|ui 
tut  depuis  Cbarles  VI,  avecgraiide  pompe  et  grande 
largesse.  Le  roi  fit  faire  une  donnée  de  buit  deniers 
à  cbacunc  personne  qui  voulut  y  avoir  part. 

Souvent  on  ondoyait  l'enfanl ,  et  les  solennités 
pieuses,  les  réjouissances,  avaient  lieu  plus  tard.  Le 
fils  aîné  de  François  1*"%  né  le  dernier  février  15 17, 
ne  fut  baptisé  que  le  25  avril  1518,  et  porta  le  nom 
d'Orléans.  Le  ckrétiennemcnt  se  fit  au  cbâteau 
d'Amboise,  «  est  néantmoiiis  que  ie  baptême  eut 
«  lieu  de  nuit,  il  y  faisoil  aussi  clair  que  de  joui 
>)  pour  le  grand  nombre  de  luminoires  qui  s'y 
»  trouva.  » 

En  plusieurs  baptêmes  de  princes  fils  ou  petitb 
fils  de  François  1",  le  Pape    et   les  Guises  furent 
compères,  ce  qui  leur  arrivait  souvent.  Mais  les  so- 


—  811  — 
lennilcs  les  plus  magnifiques  eureiil  lieu  au  l)ap 
lênic  du  lils  aîné  d'Henri  l\  ,  le  Dauphin,  depuis 
Louis  XIII,  qui,  né  en  1601,  ne  reçut  le  })remier 
sacreiuenl  que  le  1^  septembre  1606,  à  Fontaine- 
bleau, avec  deux  de  ses  sœurs.  «  La  chambre  de 
»  monseigneur  le  Dauphin  était  tapissée  de  la  tapis- 
')  série  de  Coriolanus.  Dans  la  même  chambre  y 
«  avait  deux  tables  avec  deux  dais  lorl  parés  au 
«dessus  et  tapis  de  même,  l'une  pour  mettre  les 
»  honneurs  des  enl'ans,  et  l'autre  pour  mettre  ceux 
!)des  compères;  et  il  faut  entendre  que  les  hon~ 
tueurs  des  compères  s'appellent  le  bassin,  i'ai- 
»guièreetla  serviette;  ceux  de  l'enfant  sont  K' 
»  cierge,  le  crémeau  et  la  salière  ;  que  si  l'enfant  est 
»))lus  grand  que  les  compères,  ses  honneurs  soiil 
•iles  premiers  sur  la  table  la  mieux  parée  et  sont 
»  portés  par  |)lus  grands  princes,  et  aussi  au  con 
-  tiaire  si  les  compères  sont  plus  grands.  » 

De  vous  dire  ce  qu'on  vit  figurer  dans  cette  céré- 
monie de  princes,  de  princesses,  de  chevaliers  des 
ordres,  de  grands  dignitaires,  de  seigneurs,  de  pa- 
ges ,  d'archers  de  la  garde  et  de  Suisses,  serait 
chose  impossible.  On  avait  apporté,  de  la  chapelle 
du  bois  de  Vincennes  à  Fontainebleau,  les  fonts 
baptismaux  qui  servent  aux  cnfans  de  France,  à 
savoir  :  une  cuvette  faite  comme  un  gr;»nd  bassin 
à  l'antique;  car  elle  a  été  fal)riquée  en  \\m  huit 
ctnl  nonanlc-scpt.  «  En  cette  journée  le  temps  fut 
>)forl  clair  et  serein;  mais  les  cappes,  les  tocques, 
=)  les  boutons  et  les  c|iées  (hs  })rinces  tl  seigneurs, 


—  90  — 
>)  couvertes  de  pierreries,  éclaloient  plus  que  ne 
»  iaisoil  le  jour.  La  garde  seule  de  l'épée  du  duc 
»d*Epernon  valoit  plus  de  trente  mille  écus  ;  mais 
»  surtout  paroissoit  la  robe  de  la  reine,  étoffée  de 
»  trente-deux  mille  perles  et  de  trois  mille  diamans. 

«Le  lendemain  fut  donné  le  plaisir  de  la  bague. 
»  Aussi  le  duc  de  Sully  ayant  fait  faire  un  château 
v  artificiel  lAein  de  fuzées,  boettes  et  autres  artifices 
»  à  feu  ,  le  fit  assiéger,  battre  et  prendre  par  des  sa- 
»  tyres  et  sauvages...  »  L'attaque  d'un  fort  défendu 
par  des  canons  et  pris  par  des  satyres  ,  paraîtrait 
aujourd'hui  fort  étrange. 

Louis  XIV  fut  ondoyé  ,  à  sa  naissance,  par  M.  Sé- 
guier,  son  premier  aumônier,  long-lemps  avant  les 
cérémonies  sacramentelles.  Nous  ne  raconterons 
pas  tout  ce  qu'il  y  eut  de  vin  répandu ,  de  saucis- 
sons et  de  jambons  distribués,  de  harangues  faites, 
de  poudre  brûlée  ,  de  Te  Deum  chantés  en  France, 
dans  les  quinze  jours  qui  suivirent  le  5  septembre 
1038.  Les  présens  suivirent  de  près  les  vers  latins , 
les  bombances,  les  feux  d'artifices,  et  parmi  les 
présens  on  distingua  fort  les  langes  bénis,  envoyés 
par  le  pape  Lrbain  Vllï.  Le  détail  des  objets  com- 
pris dans  ce  cadeau  sacré  occupe  trois  pages  d'un 
procès-verbal  in-folio.  Le  baptême  n'eut  lieu  qu'au 
mois  d'avril  16/i3.  Le  dauphin  parut  beau  comme  un 
unge.  Je  vous  laisse  à  penser  l'ordre  pompeux  de  la 
cérémonie  et  tout  le  soin  qu'on  prit  d'y  régler  tou 
tes  choses,  alin  de  prévenir,  autant  que  faire  se 
pouvait,  les  débats  pour  la  préséance. 


—  91  — 

Que  l'éliquelte  cl  sa  dignité  puérile  entourassent 
des  formes  les  plus  minutieuses  le  baptême  de 
Louis  XIV ,  on  le  conçoit.  Où  le  cérémonial  eut-il 
plus  naturellement  de  grandeur  et  d'éclat  qu'à  Ver- 
sailles et  sous  son  règne  ?  Mais  qu'un  soldat ,  un 
conquérant,  un  grand  homme  élevé  par  son  génie  , 
par  sa  fortune  au  trône  des  rois,  ait  pu  croire  qu'au 
milieu  d'une  cour  improvisée  ,  sa  volonté  rendrait 
à  l'étiquette  une  majesté  que  soutenaient  à  peine, 
avant  lui ,  huit  siècles  de  royauté  ;  c'est  ce  qu'on 
aura  toujours  peine  à  comprendre.  Cependant  elle 
prodigue ,  à  la  naissance  du  roi  de  Rome ,  ses  for- 
malités les  plus  vaines. 

Le  roi  de  Rome,  né  le  20  mars,  est  porté  dans 
ses  appartemens  par  la  gouvernante  des  enfans  de 
France,  suivi  du  colonel-général  de  la  garde  de  ser- 
vice. Le  soir  même  on  l'ondoie,  et,  pour  aller  à  la 
chapelle  ,  un  maréchal  de  France  porte  la  queue  de 
son  manteau.  Tous  les  corps  de  l'État,  s'inclinant 
devant  son  berceau  ,  haranguent  gravement  le  nou- 
veau-né ,  et  madame  la  gouvernante  leur  répond 
aussi  sérieusement  en  son  nom.  On  place  dans  ses 
langes  le  grand  cordon  de  la  Couronne-de-Fer,  le 
grand  cordon  de  la  Légion-d'Honneur.  Le  sénat 
donne  une  pension  de  dix  mille  francs  au  premier 
page  qui  lui  apprend  la  naissance  ;  le  second  page 
reçoit  une  pension  pareille  du  corps  municipal  pour 
la  même  mission.  Les  pages  ont  fort  grandi  depuis 
et  sont  toujours  de  fort  bonne  santé  ;  mais  les  deux 
pensions  s'arrêtèrent  tout  court  en  181^. 


^  \)±  — 

Le  jour  du  baplôine  à  Molie-Danie ,  nous  voyons 
re[)arallre  les  honneurs  de  l'cnfaut ,  les  honneurs  des 
parrains  el  marraines,  avec  l'imitation  la  plus  fidèle 
de  tout  ce  qui  s'était  fait  autrefois.  Le  procès-verbal 
ofliciel  n'oublie  pas  une  voiture  du  cortège,  pas  un 
chambellan  ,  pas  un  page  ,  pas  un  des  huissiers  du 
palais. 

Le  corps  municipal,  de  son  côté,  pourvut  à  de 
magnifiques  réjouissances.  Toute  la  cour  se  rendit 
à  l'Hôtel-de-Ville.  Plus  de  deux  mille  personnes 
reçurent  des  invitations;  mais  la  ville  donnerait-elle 
un  dîner,  donnerait-elle  un  souper,  et  dans  quel 
ordre,  au  repas  du  jour  ou  de  la  nuit,  seraient 
rangés  les  sièges?  Sur  ces  graves  questions  il  existe 
une  lettre  curieuse  d'un  maître  des  cérémonies  : 

«  Monsieur  le  préfet, 

»  Il  n'y  aura  pas  de  soupei,  parce  que  l'empe- 
w  reur  ne  soupe  pas.  Ln  dîner  :  deux  fauteuils,  l'un 
')  pour  l'empereur,  l'autre  pour  l'impératrice  ;  un 
»  tabouret  pour  madame  mère  ;  pour  les  têtes  cou- 
»  ronnées,  des  chaises,  comme  pour  les  princes  et 
')  princesses  de  la  famille. 

))Le  baron  de  Saint-***.  » 

On  dîna  donc  à  la  ville.  Dans  la  salle  ou  plutôt 
dans  le  jardin  élevé  sur  la  cour  intérieure  ,  le  Tibre 
tt  la  Seine  confondaient  leurs  eaux.  Rome  el  Paris 
faisaient  une  alliance  clernelle.  Le  banquet  impérial 
fut  som])Uicux;  mais  nul  n'y  fut  invité,  comme  on 


—  95  -- 
pense  bien,  et  les  préfets  moins  que  (raulres.  Nous 
dirions  même  ce  que  faisaient  les  premiers  magis- 
trats, debout,  derrière  l'empereur,  quand  tout  le 
monde  avait  pris  place.  L'étiquette  le  voulait  ainsi. 
Voilà  des  soins  bien  dignes  du  vainqueur  d'Auster- 
lilz  et  de  Marengo  ! 

Ce  retour  à  des  usages  surannés  qui  n'avaient 
plus  la  consécration  de  l'IiabiUide ,  blessaient  les 
mœurs  et  les  idées  du  temps.  Le  nom  de  l'empe- 
reur, son  génie,  celte  foule  de  grands  capitaines 
qui  l'entouraient,  tant  de  victoires  qui  semblaient 
se  tenir  debout  à  ses  côtés  ,  le  dispensaient  du  soin 
de  cbercher  un  éclat  factice  dans  un  cérémonial 
étroit,  gênant  pour  lui ,  ridicule  aux  yeux  des  uns, 
humiliant  pour  d'autres.  Mais  qui  donc  eût  osé  s'en 
plaindre ,  en  rire  ou  s'y  soustraire?  Quelques  bro- 
cards malins,  encore  dits  à  huis-clos,  vengèrent 
seuls  la  raison  de  cette  inconcevable  alliance  entre 
les  puérilités  de  Versailles,  les  grandeurs  de  l'em- 
pire et  le  bon  sens  de  la  nation.  Les  plus  fiers  tri- 
buns de  92,  de  93,  s'étaient  courbés  bien  vite  de- 
vant un  pouvoir  dont  ils  partageaient  les  honneurs, 
mais  dont  ils  redoutaient  surtout  la  main  pesante 
et  l'énergique  volonté. 


9.i  — 


«  Monsieur, 

»  Vous  avez  rappelé ,  à  l'occasion  du  baptême 
de  IM.  le  comte  de  Paris,  les  cérémonies  de  cette 
nature  les  plus  importantes  qui  aient  eu  lieu  pen- 
dant le  cours  de  notre  histoire.  Le  souvenir  de  ces 
cérémonies  ne  s'est  pas  seulement  conservé  dans 
les  livres,  nous  en  possédons  encordes  principaux 
monumens;  il  existe  dans  l'église  de  Poissy  une 
partie  des  fonts  en  pierre  qui  servirent  au  baptême 
de  saint  Louis  ;  et  cette  cuve  subsisterait  toute  en- 
tière, sans  l'usage  qui  s'est  conservé  parmi  les  ha- 
bitans  d'en  employer  les  raclures  au  traitement 
de  diverses  maladies  ;  c'est  à  peine  si  la  surveil- 
lance de  la  fabrique  a  pu  empêcher  cette  masse  de 
pierre  de  disparaître  toute  entière  sous  cette  pieuse 
mutilation. 

»  Le  vase  qui  a  servi  au  baptême  de  Louis  XII , 
et  qu'on  gardait  autrefois  dans  la  chapelle  royale 
de  Vincennes,  a  été  placé  depuis  1850  dans  le  Mu- 
sée royal ,  au  centre  de  la  Satie  des  bijoux  ;  ce  mo- 
nument, qui  est  de  cuivre  damasquiné  en  argent, 
porte  une  inscription  arabe  contenant  le  nom  de 
l'artiste,  Mohammed,  /Us  de  Zin-Eddin,  Contraire- 
ment aux  prescriptions  de  la  loi  musulmane,  on 
voit  sur  le  vase  un  grand  nombre  de  figures  :  mais 
l'exemple  n'en  est  pas  unique.  Mon  docte  confrère, 


—  05  — 
M.  Reynaud,  a  fait  connaître,  dans  ses  monumens 
ara))es  du  musée  Blacas,  un  vase  de  table,  exécutt'^ 
à  Mossouf,    en   Mésopotamie,   l'an  1232  de  notre 
ère,  sur  lequel  on  voit  des  chasses,  des  combats  et 
d'autres  scènes  de   la  vie  des  riches    musulmans. 
J'ai  acheté  à  Florence,  en  18IJ8,  pour  le  C4abinct 
des  Médailles,  une  coupe  du  même  genre,  et  qui 
porte  le  nom  de  Malek-el-Aschrai,  sultan  d'Egypte, 
dans  les    dernières    années   du  treizième    siècle. 
Le  nom  traditionnel  de  Baptistère  de  Saint-Louis, 
que  porte  le  vase  de  Vincennes,  semblerait  autori- 
ser l'opinion  suivant  laquelle  saint  Louis  l'aurait 
rapporté  lui-même  de  l'Orient.  Millin,  qui  l'a  pu- 
blié dans  le  tome  II  de   ses  Antiquités  Nationales , 
rapporte  l'autre  opinion ,  qui   fixe   à   l'année  897 
l'exécution  de  cet  ouvrage  chez  les  Sarrasins;  mais 
il  n'indique  pas  la  source  à  laquelle  il  a  puisé  cette 
tradition,    certainement  erronée.    J'en  dis   autant 
d'une  troisième  opinion,  qui  ferait  remonter  la  fa- 
brication de  ce  vase  jusqu'au  baptême  de  Philippe- 
Auguste  ,   en   Ji66.  Tout   ce   qu'on   peut  dire  de 
certain,  c'est  que  le   monument   est  du   treizième 
siècle,  et  de  fabrique  orientale. 

»  Enfin  je  puis  citer  les  anciens  fonts  baptismaux 
de  la  paroisse  royale  de  Saint-Paul,  qu'un  heureux 
hasard  m'a  fait  découvrir,  il  y  a  deux  ans,  dans  une 
église  de  village  aux  environs  de  Paris.  L'église  de 
Saint-Poul  ayant  été  rebâtie  au  commencement  du 
quinzième  siècle,  les  fonts,  déplacés  et  probable- 
ment abandonnés  à  cette  occasion  ,  ftu'enl  recueil- 


—  i)G  — 
lis  par  un  individu  du  nom  de  Perdria',  qui  les  (il 
transporter  à  Médan,  dont  il  était  soigneur.  C'esl 
ce  que  témoigne  une  gracieuse  inscription  ,  en 
belles  lettres  gothiques  liées,  qu'on  voyait  naguère 
au  dessus  de  celte  cuve  antique,  d'une  forme  d'ail- 
leurs très  simple  et  presque  dépourvue  d'orne- 
mens.  On  ne  lira  pas,  j'en  suis  certain,  sans  quel- 
que plaisir,  cette  inscription,  qui  n'est  pas  une  des 
moins  élégantes  de  l'anthologie  lapidaire  de  la 
France  : 


A  ces  fons  lurent  une  fois  (jadis) 

Baptisez  plusers  ducs  et  rois. 

Princes,  contes,  barons,  prélatz  , 

Et  autres  gens  de  tous  étalz  ; 

Et,  afin  que  ce  on  cognoisse , 

Ils  servoient  en  la  paroisse 

lloyal  de  Saint-Pol  de  Paris, 

Où  les  rois  se  tenoient  jadis. 

Entre  autre  y  fut  notablement 

Baptisé  honnorrablement 

Ce  sage  roiCharles-le--Q»int  (  le  cinquième  j 

Et  son  filz  qui  après  lui  vint , 

Charles  le  large  bien  aimé , 

VI'"*'  de  ce  nom  clamé  (appelé). 

Or,  furent  les  dessusditz  tons 

Fait  apporter,  je  vous  respons. 

En  ce  lieu  ici  de  Médan , 

Par  le  seigneur  du  lieu,  en  Tan 

Qu'on  (\is'à\{  jubile r  en  glose; 

Son  âme  en  paradis  repose  ! 

Henry  Perdrier  fut  son  nom  : 

Dieu  lui  sache  gré  de  ce  don  ! 


—  97  — 

Icelni  seigneur  commença, 

Depuis  ung  pou  de  temps  en  ça, 

A  rédiffier  celle  église  , 

Qui  en  povre  estai  esioit  mise, 

Tellement  que  ,  comme  j'entendz , 

ïl  y  avoit  près  de  cent  ans 

Qu'on  n'y  avoit  messe  chante , 

Tant  estoitle  lieu  mal  hanté!  'dé<;eri) 

Or  a  il  si  bien  procuré, 

Qu'il  y  a  ce  présent  curé 

El  grant  foison  paroissiens  : 

Dieu  lui  multiplie  ses  biens, 

Et  nous  doint  faire  ici  prières 

Pour  Perdriers  et  Perdrières  : 

Qu'en  paradis,  où  n"a  soucy. 

Puissent  aler  ,  et  nous  aussi! 

.)  Sur  le  bruit  de  celte  découverte  qui  s'était  ré- 
pandu aux  environs,  M.  l'évêque  de  Versailles, 
voulant  faire  restaurer  l'inscription,  la  fit  enlever 
de  l'église  de  Médan.  Si,  comme  je  l'espère,  on  l'a 
aujourd'hui  remise  à  sa  place,  j'invite  les  curieux 
à  profiter  de  ce  beau  printemps  que  nous  avons 
pour  entieprendre  le  pèlerinage  de  Médan.  Après 
avoir  payé  en  passant  leur  tribut  d'admiration  à  la 
jolie  église  de  Poissy,  malheureusement  défigurée 
par  les  restaurations  modernes,  ils  poursuivront 
leur  marche  à  travers  les  ombrages  de  Mignaux  et 
de  Vilaines,  et  trouveront  l'église  de  Médan,  rebâtie 
dans  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle  et 
remarquable  par  la  régularité  de  son  architecture  : 
ils  la  trouveront,  dis-je,  au  milieu  des  cerisiers  el 
des  pommiers  en  fleurs  ,   abrilée  pai   une  haiile  et 

7 


—  98  — 
verdoyante    colline,    au  pied  d'un  cUàleau   de   la 
même  époque  ,  et  séparée  seulement  de  la  Seine 
par  une  belle  prairie. 

')  Nous  n'avons  pas  de  détails  sur  le  baptême  du 
sage  roi  C/iaries-le-Qidnt,  du  roi  ami  de  Du  Gues- 
clin,  ce  réparateur  des  désastres  de  la  France; 
mais  la  suite  des  Chroniques  de  Saint-Denis,  écrites 
sous  les  yeux  de  ce  prince  ,  par  son  cliancelier 
Pierre  d'Orgemont,  raconte,  à  la  date  du  6  décem- 
bre lf'^68,  la  cérémonie  du  baptême  du  jeune  dau- 
phin, qui  fut  depuis  Charles  VI. 

»  Dès  le  jour  de  devant  furent  faites  lices  de  mair- 
rien  (barrières  en  bois)  en  la  rue,  devant  ladite 
église  et  aussi  dedans  environ  les  fons,  pour  mieux 
garder  qu'il  n'y  eut  trop  de  presse  de  gens...  et 
ainsi  issèrent  de  l'hôtel  du  roi  de  Saint-Pol,  par  la 
porte  qui  est  au  plus  près  de  la  dite  église...  devant 
ledit  enfant  et  deux  cents  varlets  qui  portaient  deux 
cents  torches...  «On  voyait  ensuite  l'élite  de  la  no- 
blesse française  et  du  clergé,  au  milieu  de  laquelle 
paraissait  «  la  royne  Jehanne  d'Iivreux  ,  ly^'i  portait 
ledit  enfant  sur  ses  liras.  »  [Grandes  Chroniques,  p. 
1572  de  l'éd.   in-f"  donnée  par  M.  P.  Paris.  ) 

«  Agrée/.,  elc. 

»  i\\\.    Ll•;^on]\IANT.  » 


—  V)9  — 

Nous  ignorons  encore  par  quelles  fêtes  sera  con- 
sacré le  nouveau  baptême.  On  dit  que  le  comte  de 
Paris  doit  visiter  l'asile  Cochin  ;  que  dix  enfans  de 
chacun  des  asiles  y  seront  réunis  à  ceux  de  l'éta- 
blissement, et  qu'une  fête  s'y  trouvera  préparée 
pour  eux;  on  dit  même  que  toute  la  petite  popula- 
tion des  asiles  recevra  des  boîtes  de  dragées.  Celte 
visite  d'un  prince  enfant,  faite  aux  plus  pauvres  en- 
fans  de  la  ville  ,  laisserait  dans  ces  jeunes  cœurs  des 
souvenirs  bienveillans  et  durables  :  jamais  l'esprit, 
la  grâce  et  la  bonté  n'auraient  eu  d'inspirations 
plus  heureuses!  On  dit  encore  ,  qu'outre  les  diver- 
tissemens  du  1"  mai,  qui  seront  prolongés  le  2, 
l'artillerie  doit  tirer  un  feu  d'artillerie  d'un  effet 
nouveau  sur  la  plate-forme  de  l'arc  de  triomphe. 

Nous  ne  saurions  répondre  que  ces  bruits  soient 
exacts  ;  mais,  nous  en  sommes  certains  d'avance , 
rien ,  dans  les  solennités  ou  les  réjouissances  du 
baptême ,  ne  sentira  la  gêne  de  l'étiquette  ;  rien 
n'aura  lieu  que  ce  qu'exigent  le  caractère  touchant 
de  la  cérémonie  religieuse  ,  la  dignité  de  la  ville  et 
la  grandeur  réelle  de  la  royale  famille  à  laquelle  le 
jeune  prince  appartient.  Il  est  beau  de  porter  le 
nom  de  comte  de  Paris,  lorsque,  de  race  en  race, 
on  descend  de  celui  qui  le  premier  repoussa  l'inva- 
sion loin  des  murs  de  l'antique  ci  lé  ! 


—   100  — 

Son  Altesse  Royale ,  Madame  la  duchesse  d'Orléans,  avec 
son  fils  ,  le  comte  de  Paris  ,  visite  la  salle  d'asile  modèle 
de  la  Capitale. 

Aujourd'hui,  à  deux  heures,  son  altesse  royale 
madame  k  duchesse  d'Orléans,  accompagnée  de 
Monseigneur  ie  comte  de  Paris,  a  visité  la  salle  d'a- 
sile de  la  rue  Saint-Hippolyte,  n°  15. 

Reçue  à  son  arrivée  par  M.  le  préfet  de  la  Seine, 
M.  Ciochin,  membre  du  conseil  municipal,  et  les 
dames  directrices  et  inspectrices,  l'auguste  prin- 
cesse a  répondu  avec  la  grâce  la  plus  touchante 
aux  différens  discours  qui  lui  ont  été  adressés. 

Son  Altesse  Royale  a  ensuite  visité  les  salles  d'é- 
tude, dans  lesquelles  se  trouvaient  réunis  un  grand 
nombre  d'enfans  ,  s'arrêtanl  souvent  pour  leur 
adresser  soit  des  paroles  bienveillantes,  soit  des  ca- 
resses. Il  serait  difficile  de  peindre  la  joie  et  l'émo- 
tion de  tous  les  assistans  :  cette  visite  était  une  vé- 
ritable fête  de  famille. 


Voici  comment  un  journal,   le  Moniteur  Parisien,    raconte 
cette  royale  et  intéressante  visite. 

«  Hier  vendredi ,  une  fête  pleine  d'à-propos,  a 
réuni,  sous  un  auguste  patronage  ,  les  enfans  pau- 
vres de  la  capitale. 

«Dès  midi,  un  grand  nombre  de  voitures  se  di- 
rigeaient de  toulcs  paris  vers  le  quartier  Saint-Mar- 


—  toi  — 
cel,  et  (ians  ces  voitures  on  s'étonnait  do  voir  une 
foule  de  petits  enfans  frais  et  joyeux  sous  leurs  vê- 
temens  modestes.  C'étaient  les  représentans  de 
toutes  les  salles  d'as^iles  de  Paris,  dont  chacune  en- 
voyait huit  ou  dix  de  ses  jeunes  élèves  à  la  grande 
salle  modèle  de  la  rue  Saint-Hippolyte. 

»  A  deux  heures,  la  réunion  était  complète  ;  près 
de  sept  cents  enfans  des  deux  sexes  se  trouvaient 
dans  le  vaste  préau.  Tout  à  coup,  des  cris  de  joie  se 
firent  entendre.  Madame  la  duchesse  d'Orléans  et 
son  fils  le  comte  de  Paris  venaient  d'entrer  au  mi- 
lieu de  cette  intéressante  assemblée. 

»M.  le  comte  de  Rambuteau  ,  préfet  de  la  Seine, 
M,  Cochin,  fondateur  de  l'asile-modèle ,  ont  reçu 
Son  Altesse  Royale  ,  ([ui  était  accompagnée'  do  ma- 
dame la  grande-duchesse  de  Mecklembourg ,  sa 
mère,  de  M.  le  duc  de  Coigny,  chevalier  d'honneur, 
de  madame  la  maréchale  de  Lobau  ,  l'une  des  da- 
mes patronesses  des  salles  d'asile,  et  de  M.  Asse- 
line,  secrétaire  des  commanderoens. 

»La  plus  jeune  fille,  âgée  de  deux  ans  et  demi, 
présenta  un  bouquet  à  la  princesse,  et  le  plus  petit 
garçon  remit  entre  ses  mains  des  couplets  qui  fu- 
rent chantés  par  toutes  ces  voix  (jue  leur  fraîcheur 
faisait  paraître  harmonieuses. 

«Après  quelques  exercices,  qui  furent  exécutés 
avec  une  grande  précision,  toutes  les  députations, 
distinguées  chacune  par  un  drapeau  que  portait  un 
jeune  enfant,  déiilèrent  devant  le  comte  de  Paris; 
puis  cette  foule  impatient*'  fui  rendue  à  la  liberté 


—  102  — 
et  chaque  entant  pril  sa  part  d'un  goûter  qui  avait 
été  préparé  par  ordre  de  la  princesse. 

«Avant  de  quitter  l'établissement.  Son  Altesse 
Rovale  adressa  des  félicitations  aux  dames  fonda- 
trices ,  sur  les  heureux  résultats  de  leur  pieuse  as- 
sociation ,  et  laissa  à  madame  Millet  une  somme 
de  2,000  francs  ,  pour  faire  habiller  les  enfans  les 
plus  pauvres. 

«Toute  la  population  du  quartier  s'était  em- 
pressée aux  abords  de  la  maison  d'asile,  et  des  ac- 
clamations unanimes  saluèrent  le  départ  de  la 
princesse  et  du  jeune  comte  de  Paris.  » 

C'était  un  grave  et  touchant  spectacle  de  voir  la 
sollicitude  toute  maternelle  de  l'auguste  princesse 
envers  toutes  ces  écoles  où  l'enfant  du  pauvre  va 
chercher  l'instruction  qui  doit  moraliser  toute  son 
existence,  et  qui  semblent  une  des  créations  les 
plus  naturelles  de  l'esprit  de  1830. 

Après  une  allocution  toute  chrétienne  et  toute 
paternelle  de  M.  Rendu  ,  président  de  la  commis- 
sion supérieure  des  salles  d'asile  ,  madame  Che- 
vreau-Lemercier  ,  déléguée  générale  des  salles 
d'asile  du  royaume  ,  a  lu  un  discours  dont  nous 
extrayons  les  passages  suivans  : 

«  Votre  présence  au  milieu  des  enfans  du  pauvre, 
et  au  milieu  de  leurs  protectrices ,  est  le  témoi- 
gnage le  plus  vif  de  l'intérêt  que  vous  portez  aux 
salles  d'asile.  Permettez-nous  de  remercier  Votre 
Altesse  Royale  du  puissant  patronage  que  vous  dai- 
gnez nous  faire  espérer  en  cçnsacrant  le  souvenir 


—   lOô  — 

<lu  baplènie  de  monseigneur  le  comte  de  Paris  par 
cette  tèle  de  famille 

»  Faire  prospérer  les  asiles  ,  c'est  préparer  pour 
l'avenir  la  pratique  de  toutes  les  qualités  et  de  tou- 
tes les  vertus  modestes  qu'on  enseigne  à  aimer 
dans  ces  élablissemens 

))i\lais  ,  Madame,  nos  petits  enfans  ne  sont  pas 
seulement  préparés  par  nous  à  mettre  en  œuvre 
les  vertus  essentielles  de  la  vie  ;  ils  les  font  ai- 
mer déjà  au  foyer  domestique  :  soumis  eux-mê- 
mes à  des  règles  particulières,  ils  portent  des  idées 
d'ordre  dans  la  famille  ;  ils  en  deviennent  comme 
les  petits  missionnaires  par  leurs  exemples  et  sou- 
vent par  leurs  édifiantes  causeries.  C'est  l'enfant 
qui,  au  retour  de  l'asile  ,  exhale  dans  la  maison  ce 
parfum  qui  rend  la  vertu  si  aimable  et  si  facile.  De 
quelle  bouche  plus  pure,  d'ailleurs,  la  vertu  pour- 
rait-elle sortir,  que  de  la  bouche  d'un  enfant?  Il 
entre  dans  la  vie,  il  reçoit  de  douces  impressions, 
qu'il  conserve  comme  un  feu  sacré  ;  il  les  répand 
autour  de  lui  ;  rien  de  sa  part  ne  saurait  blesser  ; 
son  père  et  sa  mère  admirent  tout  ce  qu'il  dit  et  en 
font  leur  ])rofil,  sans  qu'ils  songent  à  se  deman- 
der pourquoi  ils  deviennent  meilleurs  !   

«Merci  donc,  merci  mille  lois  à  Votre  Altesse 
Royale  :  sa  visite  sera  une  date  précieuse  pour  les 
enfans  que  sous  avez  bien  voulu  encourager  pur 


—   104  — 

vus  paroles  ;  el  elle  restera  pour  nous  la  plus  douce 
récompense  de  nos  efforts  et  de  nos  travaux.  » 

Toutes  les  salles  d'asile  de  Paris  étaient  repré- 
sentées chacune  par  une  députation  d'enfans.  Ma- 
dame Millet,  inspectrice  spéciale  du  département 
de  la  Seine,  s'est  empressée  de  donner  à  madame 
la  duchesse  d'Orléans  tous  les  renseignemens  dési- 
rables, soit  sur  les  maîtresses ,  soit  sur  les  divers 
établissemens  eux-mêmes.   La  séance  s'est  termi- 
née par  une  pièce  de  vers  composée  en  l'honneur 
de  monseigneur  le  comte  de  Paris ,    par  madame 
Jules  Mallet.   Celte  pièce,   d'une  poésie  douce  et 
gracieuse,  a  été  lue  par  M.  Cochin,  fondateur  de 
l'asile  modèle. 

Sur  la  demande  de  madame  la  duchesse  d'Or- 
léans, toutes  les  dames  de  la  commission  supé- 
rieure, et  les  dames  déléguées  pour  l'inspection 
des  asiles  de  Paris,  avaient  été  convoquées  par  M. 
le  préfet  de  la  Seine,  qui  a  fait  lui-même  les  hon- 
neurs de  cette  touchante  cérémonie. 

Elle  a  été  couronnée  par  une  distribution  de  bon- 
bons faite  à  tous  les  enfans  [)ar  les  soins  de  ma- 
dame la  duchesse  d'Orléans. 


Dt  SON  ALTESSE  ROYALE  LE  COMTE  DE  PARIS 


DISPOSITIONS  PRÉLIMINAIRES. 

Les  cérémonies  du  baptême  de  son  altesse  royale 
le  comte  de  Paris  se  sont  faites  le  2  mai,  le  lende- 
main de  la  fête  du  roi,  à  Notre-Dame,  avec  une 
magnificence  extraordinaire. 

Le  drapeau  tricolore  flottait  dès  la  veille  sur  les 
tours  de  Notre-Dame. 

(1)  Pendant  la  cérémonie  du  baplénie,  à  Notre-Dame,  la 
curiosité  était  excitée  par  le  vase  remarquable  qui  avait  été 
apporté  pour  servir  de  fonts  balismaux  dans  cette  grande  so- 
lennité; plusieurs  versions  extraordinaires  circulaient  sur  l'o- 
)  igine  de  cet  antique  et  précieux  travail.  Nous  avons  sous  les 
yeux  un  document  qui  fixe  la  date  et  Torigine  de  ces  fonts 
baptismaux.  Nous  l'avons  trouvé  dans  VHistoire  du  palais  de 
Fontainebleau ,  par  M.  Vatoul,  lorsqu'il  raconte  la  cérémonie 
du  14  septembre  1606,  où  Henri  IV  lit  baptiser  ses  trois  en- 
fans  dans  celle  résidence  royale.  —  «Les  fonts  qui  servent 
pour  le  baptême  de  nos  rois,  dit  l'auteur  d'après  une  vieille 
chronique ,  avaient  été  apportes  de  la  sainte  chapelle  du  châ- 
leau  du  bois  de  Vincennes,  où  ils  étaient  curieusement  gar- 
dés; c'était  un  grand  bassin  de  cuivre  ,  couvert  de  plaques 
d'argent ,  avec  de  petites  tigures  artistement  travaillées  ;  le 
tout  fort  antique  ,  ayant  clé  fait  l'an  huit  cent  nonante-sepl . 
a  la  fin  du  règne  d'Eudes ,  fils  de  Robert-le-Forl  ,  comte  de 
Paris! 


—  100  — 

L'église  avail  élé  décorée  avec  beaucoup  de 
pompe. 

Au  devant  de  la  porte  principale  s'élevait,  dans 
le  style  d'architecture  de  la  métropole,  une  haute 
marquise  en  forme  de  tente,  décorée  avec  des  tro- 
phées formés  de  drapeaux;  c'est  là  que  l'archevê- 
que de  Paris,  accompagné  des  cardinaux,  des  ar- 
chevêques et  évêques,  des  chanoines  du  chapitre 
royal  do  Saint-Denis,  entouré  de  ses  archidiacres, 
de  son  chapitre  et  de  tous  les  curés  de  Paris,  est 
venu  recevoir  leurs  majestés  le  Roi  et  la  Reine,  et 
tout  le  corps  de  princes  et  de  princesses  conduisant 
le  comte  de  Paris. 

Dans  l'intérieur  tous  les  piliers  de  la  nef  étaient 
enveloppés  dans  toute  leur  longueur  d'une  riche 
et  majestueuse  draperie  en  velours  cramoisi,  à  bor- 
dure d'or.  Au  dessus,  à  la  hauteur  des  tribunes, 
étaient  rangés  des  trophées  de  drapeaux  rappelant 
la  garde  nationale  et  l'armée  ;  outre  les  trophées  de 
drapeaux,  au  dessus  de  chaque  pilier  apparaissait 
un  écusson  de  laurier  doré,  aux  chiffres  et  aux  ar- 
moiries du  comte  de  Paris  ;  puis  au  pied  de  chaque 
trophée  de  drapeaux,  était  un  autre  écusson  repré- 
sentant deux  anges  supportant  la  couronne  de 
comte.  Au  dessous  des  orgues,  des  drapeaux  réunis 
formaient  une  rosace  gigantesque.  Les  tribunes 
étaient  aussi  décorées  d'une  élégante  tenture  rouge 
cramoisi.  Au  devant  du  chœur,  au  milieu  do  la 
grande  croix,  s'élevait  un  grand  autel  à  la  romaine 
pour  la  cérémonie.  A  droite  et  à  gauche  de  cet  au- 


—  107  — 
tel,  en  avant  des  portes  latérales,  comprenant  l'es- 
pace réservé  entre  le  chœur  et  la  grande  nef,  des 
tribunes  avaient  été  construites,  et  c'est  là  que  sont 
venus  prendre  place  les  ministres,  les  maréchaux, 
les  membres  de  la  chambre  des  pairs,  la  cour  de 
cassation,  la  cour  des  comptes,  la  cour  royale,  le 
conseil  d'État,  le  conseil  général,  le  conseil  muni- 
cipal. 

Ln  dais  de  velours  cramoisi  et  or,  avec  des  pana- 
ches blancs  aux  quatre  coins,  se  terminant  en  dôme, 
surmonté  d'une  couronne  royale,  était  appendu  à 
l'avant  de  la  grande  croix  où  avait  été  dressé  l'au- 
tel à  la  romaine  pour  la  cérémonie. 

Au  dessous  du  dais,  des  fauteuils  et  des  prie- 
dieu  avaient  été  disposés  pour  la  famille  royale. 

Le  chœur  avait  été  aussi  pompeusement  décoré, 
tout  autour,  dans  le  style  des  décorations  de  la  nef. 
Devant  les  pilastres  de  chaque  tribune  et  sur  les  en- 
tre-colonnemens  des  archivoltes  qui  dominent  le 
maître-autel,  descendait  également  une  magnifique 
draperie  de  velours  doré  ,  relevée  en  rideaux  par 
d'énormes  torsades  en  or.  Sur  toutes  ces  décora- 
tions venait  se  refléter  la  lumière  de  cinquante 
lustres  et  d'autant  de  candélabres  d'or  avec  giran- 
doles garnies  de  bougies,  s'élendant  sur  deux  rangs, 
depuis  la  porte  principale  d'entrée  jusqu'au  mai- 
Ire-autel. 


—  108  — 

COKTÉGt:  ET  AIUUVÉK  DU  ROI  A  LA  MÉTROPOLE. 

A  neuf  heures  du  matin  ,  les  tribunes  étaient 
remplies;  à  dix  heures,  l'église  était  pleine:  les 
cardinaux,  les  archevêques,  les  évoques,  les  mi- 
nistres, les  maréchaux,  les  pairs,  les  députés  ,  le 
(!orps  diplomatique,  les  divers  corps  étaient  arri- 
vés sucessivement. 

A  onze  heures,  une  salve  d'artillerie  a  annoncé 
le  départ  du  roi  et  de  la  famille  royale  du  châ- 
teau des  Tuileries.  A  onze  heures  et  quelques 
minutes,  les  tambours  qui  battaient  aux  champs  , 
la  musique,  les  fanfares,  disaient  que  le  roi 
était  à  la  porte  de  Notre-Dame.  MOiNSEIGNEUR 
L'ARCHEVÊQUE  DE  PARIS  (J) .  accompagné  par 
leurs  éminences  le  prince  de  Croi,  cardinal  archevê- 
que de  Rouen,  monseigneur  de  Latour-d'Auvergne, 
cardinal  évêque  d'Arras,  monseigneur  de  Ronald, 
cardinal  archevêque  de  Lyon  ,  assisté  des  évoques 
suffragans,  nosseigneurs  les  évêques  de  Versailles , 
d'Orléans,  de  Meaux  et  de  Reauvais  (2)  ,  que  pré- 

(1)  Le  roi  fivail  envoyé  la  veille  du  baptême  à  monseigneur 
rarciievêque  de  Paris,  une  croix  et  un  anneau  pastoral  en 
hrilians. 

M.  le  duc  d'Orléans  avait  ollert,  le  malin  même  de  la  céré- 
monie, à  ce  prélat,  une  rnilre  du  plus  grand  prix. 

(2)  Messeigncurslcs  évè(iues  de  Blois  et  de  Cand)rai  avaient 
pri(>  (ju'on  les  excusât  auprès  du  roi,  de  n'ètie  pas  venus  se 
joindre  dans  les  cérémonies  du  baplèmc  de  Son  Altesse  Royale 
le  comte  de  Paris,  aux  prélats  sullragans  de  la  mciropole.  Ils 


—  109  — 
cédaient  le  patriarche  d'Antioche,  évè  [ue  do  Jéru- 
salem ,  rarchevèqiie  de  Calcédoine,  les  anciens 
évêques  de  Dijon  el  de  Beauvais  ,  l'évêquo  de  Ma- 
roc, aumônier  de  sa  majesté  la  Reine,  l'évêquo 
nommé  d'Evreux  ,  les  chanoines  du  chapitre  roval 
de  Saint-Denis,  et  entouré  de  ses  archidiacres,  de 
son  chapitre  et  de  tous  les  curés  de  Paris,  était  allé 
recevoir  au  portail  Sa  Majesté,  et  lui  adressait  lo 
discours  suivant  : 

«  Sire, 

«Jésus-Christ ,  par  le  premier  de  ses  sacremens  , 
î) imprime  le  même  caractère  au  descendant  des 
»rois  et  au  fds  du  citoyen  le  plus  obscur. 

»  Après  leur  avoir  révélé  par  sa  doctrine  les  droits 
))  et  les  devoirs  qui  leur  sont  communs,  il  prépare 
«par  sa  grâce  celui  qui  est  né  dans  la  condition  la 
»  plus  humble  à  la  chérir  comme  plus  heureuse  ;  il 
«prépare  le  prince  à  remplir  avec  bonté  et  avec  jus- 
^)tice  ses  hautes  mais  difficiles  destinées. 

«Cette  double  disposition  est  le  lien  le  plus  du- 

disaient  que  leur  grand  âge  et  leurs  infirmités  avoient  pu 
seuls  les  empêcher  de  donner  à  Sa  Majesté,  en  cette  occasion 
touchante  et  solennelle,  cette  expression  de  leur  profond  res- 
pect et  de  leur  entier  dévoùment. 

Monseigneur  Tevéque  de  Chartres,  dans  une  loure  toute 
pleine  de  nobles  et  touchantes  expressions  de  dévoùment 
pour  le  roi .  s'était  déjà  excusé  lui-même  de  ne  pouvoir  se 
réunir  à  son  métropolitain  dans  cette  grave  circonstance,  à 
eause  de  grandes  fatigues  qui  le  retenaient  souflranl  après 
plusieurs  confirmations  qu'il  venait  de  donner. 


—  11(1  — 

»  1  ahlo  outre  les  peuples  et  les  rois;  elle  est  le  gage 
»  le  plus  sûr  de  leur  mutuelle  sécurité.  Voilà  pour- 
»  quoi.  Sire,  les  saints  engagemens  que  va  prendre, 
y  par  la  bouche  de  Votre  Majesté ,  un  nouveau  re- 
»  jeton  de  la  race  de  saint  Louis ,  appellent  au 
«pied  des  autels  de  cette  antique  basilique  le  roi  , 
))la  famille  royale  ,  les  grands  corps  de  l'État  ,  d'il- 
»  lustres  pontifes  et  le  clergé  de  la  capitale. 

»  L'archevêque  de  Paris  est  heureux  d'implorer, 
))sur  votre  auguste  petit-fils,  les  bénédictions  du 
»  ciel  et  d'unir  ses  supplications  et  ses  vœux  à  ceux 
»  de  cette  imposante  assemblée.  » 

Le  roi  a  répondu  : 

«  En  venant  au  pied  des  autels  contracter  pour 
))mon  petit-fils  les  saints  engagemens  qui  accom- 
«pagnent  le  baptême,  je  ne  puis  former  de  meil- 
))leur  vœu  pour  son  avenir  que  celui  de  lui  voir 
»  prendre  pour  guides  les  sentimensque  vous  venez 
»  de  m'exprimer,  et  que  je  partage  du  fond  de  mon 
wcœur.  Il  m'est  bien  doux  de  voir  que  vous  enten- 
»  diez  d'une  manière  aussi  conforme  à  la  mienne 
))les  devoirs  que  la  religion  impose  à  tous  les  chré- 
»  liens  dans  les  diverses  positions  où  la  Providence 
»  les  a  placés.  Je  m'unis  à  vos  prières  pour  appeler 
»sur  mon  petit-fils,  sur  ma  famille  et  sur  moi  les 
»  bénédictions  du  Ciel,  ele  les  invoque  pour  le  bon- 
»  heur  de  la  France,  et  pour  obtenir  de  Dieu  la  con- 
«tinuation  de  cette  protection  tutélaire  dont  nous 
»  avons  déjà  tant  reçu  de  marques.  » 


Après  avoir  répondu  à  inonseigneurlarchevêque, 
SA  MAJESTÉ  ayant  refusé  le  dais  qui  avait  élé 
préparé ,  le  clergé  a  repris  processionnellement  le 
chemin  de  l'autel ,  et  le  cortège  du  roi  a  suivi ,  Ira- 
versant  la  nef  au  bruit  des  tambours  et  d'une  mar- 
che brillante  exécutée  par  l'orgue. 

Le  roi,  entouré  de  la  famille  royale  ,  s'est  avancé 
en  saluant  les  différens  corps  de  l'Llat,  vers  la 
place  réservée,  en  face  de  l'autel  à  la  roinaine. 

Le  roi  avait  à  sa  droite  le  roi  des  Belges  ,  le  duc 
d'Orléans,  le  prince  de  Joinville  ,  le  duc  de  Mont- 
pensier  et  le  duc  Alexandre  de  Wurtemberg. 

Sa  Majesté  avait  à  sa  gauche  la  reine  ,  la  reine 
des  Belges,  la  duchesse  d'Orléans,  la  duchesse  de 
Nemours,  la  princesse  Clémentine,  madame  Adé- 
laïde et  madame  la  grande  duchesse  de  Mecklem- 
bourg. 

Les  corps  constitués  étaient  également  placés 
dans  la  croix  de  l'église. 

A  la  droite  du  roi  étaient  les  ministres  ,  la  cham- 
bre des  pairs  ,  le  conseil  d'État  et  le  corps  diplo- 
matique. 

A  la  gauche  de  Sa  Majesté,  MM.  les  maréchaux 
de  France  et  les  amiraux,  la  chambre  des  députés  , 
M.  le  préfet  de  la  Seine  à  la  tête  du  corps  munici- 
pal, et  M.  le  préfet  de  police. 

Au  côté  droit  de  la  nef,  étaient  :  la  cour  de  cas- 
sation, la  cour  royale,  le  tribunal  de  première  in- 
stance, le  tribunal  et  la  chambre  de  commerce, 
les  juges  de  paix  ,  les  avocats  [)rès  les  cours  ,  le  con- 


—  Ihi  — 

sisloire,  M.  le  maréchal  GcVard  ,  coiniiiaiulanl  de 
la  garde  nationale  de  la  Seine  ,  avec  MM.  les  colo- 
nels et  une  dépulalion  des  officiers  de  la  garde  na- 
tionale de  Paris  et  de  la  banlieue. 

Au  côté  gauche  de  la  nef  étaient  :  la  cour  des 
comptes,  le  conseil  royal  de  l'instruction  publique, 
l'Institut  de  France,  le  corps  royal  des  ponts  ot 
chaussées  et  des  mines ,  MM.  les  généraux  Pajol  et 
Dariulle,  avec  une  députation  des  ofhciers  de  la 
première  division  militaire  et  de  la  garnison  de 
Paris. 

L'autel  était  environné,  sur  la  gauche,  du  côté  de 
i'hvangile,  par  les  trois  cardinaux:  monseigneur 
le  prince  de  Groî,  archevêque  de  Uouen ,  moiisoi- 
gneur  de  Latour-d'Auvergne ,  évoque  d'Arras  .  ot 
monseigneur  de  Bonald  »  archevêque  de  Lyon , 
ainsi  que  par  tous  les  évêques  suffragans  du  siège 
de  Paris  et  M.  lévêque  nommé  d'Lvreux. 

Derrière  les  évêques  se  trouvaient  les  chanoines 
du  chapitre  de  Saint-Denis; 

A  la  droite  de  l'autel,  du  côté  de  l'épîlre,  étaient 
tous  les  curés  de  Paris. 

Dans  les  deux  jubés^  les  chanoines  honoraires  de 
Paris,  et  entourant  l'autel  par  en  bas,  les  chanoi- 
nes titulaires  de  Paris  revêtus  de  chapes  d'or. 

Outre  les  évêques  suffragans,  un  grand  nombre 
d'évêques  assistaient  à  la  cérémonie.  On  remar- 
quait parmi  eux  monseigneur  le  patriarche  d'An- 
tioche,  avec  un  costume  levantin  d'une  grande 
splendeur,    l'archevêque   de  Calcédoine,    l'ancien 


—  iir>  — 
èvêqiie  de  Dijon  et  l'ancien    évêque   de   Beauvais, 
et,   près  de  la  faniille  royale,  monseigneur  l'évê- 
qiie  de  Maroc,  aumônier  de  la  reine. 

Dans  des  tribunes  réservées,  décorées  avec  ma- 
gnificence, étaient  les  infans  d'Espagne  ,  les  dames 
du  corps  diplomatique  ,  les  femmes  des  ministres 
et  des  hauts  fonctionnaires. 

Dans  les  tribunes  hautes ,  était  une  grande  af- 
fluence  de  personnes  invitées. 

Au  fond  de  l'abscisse  se  trouvait  l'orchestre  com- 
posé de  deux  cent  cinquante  musiciens,  et  dirigé 
par  M.  Habeneck. 

La  famille  royale  ayant  pris  place,  monseigneur 
l'archevêque  de  Paris  a  entonné  le  Feni  Creator, 
suivi  du  psaume  Qaemadmodum  exécuté  alterna- 
tivement  en  faux-bourdon  et  jiar  l'orgue. 

Alors  a  eu  lieu  la  cérémonie  du  baptême.  Les 
fonts  baptismaux  étaient  placés  au  milieu  de  la 
croix ,  entre  l'autel  et  la  famille  royale. 

LE  ROI  A  ÉTÉ  LE  PARRAIN. 

LA  REINE  A  ÉTÉ  LA  MARRAINE. 

Immédiatement  après  le  baptême  et  |)endant  la 
célébration  de  la  messe  ,  dite  par  monseigneur  l'ar- 
chevêque ,  assisté  de  ses  archidiacres  et  de  deux 
chanoines,  l'orchestre  a  exécuté  un  Credo,  un 
Sanctus ,  un  Bencdictus  et  un  Domine  salvum  fac  rc- 
gem,  composés,  pour  cette  solennité,  par  M.  Elwart, 
ancien  pensionnaire  de  Rom*^.  Un  style  large  et  ra- 
pide, des  mélodies  suaves  et  toujours  soutenues  par 
une  harmonie  sévère  ,  caractérisent  ces  dilTérens 

8 


—  114  — 
morceaux.  On  a  remarqué  V Introït  el  le  Credo,  dont 
lerhythme  varié  et  le  dessin  grandiose  ont  frappé 
l'attention  des  connaisseurs.  Le  Domine  salvum  est 
conçu  d'une  manière  entièrement  neuve. 

Après  la  messe,  monseigneur  l'archevêque  a  en- 
tonné le  Te  Deutn,  et  l'orchestre  a  exécuté  avec  sa 
supériorité  ordinaire  cette  magnifique  composition 
du  célèbre  Lesueur. 

Après  le  Te  Deujti  l'acte  de  baptême  du  comte 
de  Paris  a  été  signé  par 

Le  roi ,  la  reine  ; 

Le  roi  des  Belges  ,  la  reine  des  Belges  ; 

Le  prince  royal,  duc  d'Orléans; 

La  princesse  royale  ,  duchesse  d'Orléans  ; 

Le  duc  de  Wurtemberg  ; 

Le  prince  de  Joinville  ; 

Le  duc  de  Montpensier; 

La  duchesse  de  Nemours  ; 

La  princesse  Clémentine  ; 

Madame  Adélaïde  ,  sœur  du  roi; 

La  grande  duchesse  de  Meklembourg  ; 

Son  éminence  le  prince  de  Croï,   cardinal-ar- 
chevêque de  Rouen  ; 

Son  éminence  monseigneur  de  la  Tour  d'Auver- 
gne ,  cardinal-évèque  d'Arras  ; 

Son  éminence  monseigneur  de  Bonald  ,  cardi- 
nal-archevêque de  Lyon  ; 

Le  patriarche  d'Anlioche,  évêque  de  Jérusalem; 

L'archevêque  de  Calcédoine; 

L'évêque  de  Versailles; 


—  Il;)  — 

L'évêque  de  Meaux  ; 

L'évêque  d'Orléans  ; 

L'ancien  évêque  de  Dijon  ; 

L'évêque  de  Maroc,  aumônier  de  S.  M.  la  reine; 

L'évêque  nommé  d'Evreux. 

Monseigneur  l'archevêque ,  les  cardinaux ,  les 
évêques  suffragans  et  tout  le  clergé,  ont  ensuite  re- 
conduit Sa  Majesté  processionnellement  jusqu'au 
portail. 

MM.  les  ministres,  M.  le  chancelier  de  France, 
M.  le  président  de  la  Chambre  des  Députés,  MM.  les 
vice-présidens  des  deux  Chambres,  MM.  les  maré- 
chaux ,  etc. ,  ont  également  signé  l'acte  de  bap- 
tême après  le  départ  de  Sa  Majesté. 

Le  roi  et  la  famille  royale  sont  rentrés  au  palais 
des  Tuileries  à  une  heure.  Une  salve  d'artillerie  a 
annoncé  le  retour  de  Leurs  Majestés. 

Cette  cérémonie  a  eu  un  caractère  grave  et  solen- 
nel. Grâce  aux  heureuses  dispositions  qui  avaient 
été  prises,  aucun  incident  n'a  interrompu  le  re^ 
cueillement  de  la  brillante  assemblée  qui  se  pres- 
sait dans  l'immense  enceinte  de  la  vieille  basilique. 

Partout,  sur  le  passage  du  roi ,  les  acclamations 
les  plus  vives  ont  salué  Leurs  Majestés  et  la  famille 
royale.  Les  cris  de  vive  le  comte  de  Parts  !  se  mê- 
laient à  ceux  de  vire  le  Boi\  rive  la  Reinel  vive  le 
duc  d'Orléans  ! 


—  un  — 

Le  l*Rf:FET  (le  In  Seine  remet  au  COMTR  DE  PARIS  l'épée  qui 
lui  rsl  offerle  par  la  ville  de  Paris. 

Après  la  cérémonie  du  baplême  de  Son  Allesso 
monseigneur  le  comte  de  Paris,  le  corps  municipal 
est  venu  aux  Tuileries  pour  présenter  au  royal  en- 
fant l'épée  qui  lui  est  offerte  par  la  ville  de  Paris. 

Le  roi  l'a  reçu  dans  la  salle  du  Trône,  ayant  au- 
près de  lui  la  reine  et  toute  la  famille  royale.  Ma- 
dame la  duchesse  d'Orléans  tenait  le  jeune  prince 
par  la  main  ;  les  ministres  assistaient  à  cette  récep- 
tion. 

M.  le  comte  de  Rambuteau  ,  préfet  de  la  Seine  , 
a  adressé  au  roi  le  discours  suivant  ; 

«  Sire  , 

«Hier,  nous  apportions  au  Roi  les  hommages  lie 
la  cité  ;  aujourd  hui,  nous  venons  exprimer  au  père 
de  Fannlle  nos  félicitations  et  les  sentimens  de  joie 
d'une  population  fidèle  et  dévouée. 

»  La  cérémonie  à  laquelle  nous  assistions,  il  y  a 
peu  d'inslans,  a  laissé  dans  nos  cœurs  une  impres- 
sion profonde.  Quel  grand  spectacle  dans  la  basili- 
que !  Ce  Roi,  ce  chef  de  dynastie,  quia  sanvé  son 
pays  de  tant  de  maux,  et  qui  lui  a  fait  tant  de  bien  ; 
cette  belle  famille,  où  toutes  les  vertus  sont  ensei- 
gnées et  Iransmises  par  l'exemple;  ce  prince  ,  sur 
le  front  duquel  la  valeur  rayonne  autour  d'ime  sa- 
gesse  précoce;  cetle  jeune  mère,  dont  le  regard 


—  117  — 
lioblf,  péiit'Uiuilet  gracieux,  révèle  la  deslinee  poui 
laquelle  la  Providence  a  voulu  la  douer;  ce  royal 
Eiilanl,  inclinant  sa  jeune  tète  sous  la  grâce  céleste  ; 
Sire,  tout  cela  était  saint  ,  touchant  et  beau  ! 
»  Voilà  l'Enfant  qui  sera  le  Roi  de  nos  ent'ans  1 
')  Celte  ville,  dont  Votre  Majesté  a  voulu  qu'il 
portât  le  nom,  désire  qu'il  conserve  un  souvenir 
du  bonheur  causé  par  sa  naissance  et  par  le  choix 
de  ce  nom.  Elle  lui  ofTre  cette  épée ,  Sire;  c'est  la 
cité  qui  la  lui  donne  pour  le  service  du  pays  ! 
Quand  l'âge  sera  venu  |)ourlui  de  la  ceindre,  il  ne 
manquera  pas  d'exemples  pour  l'usage  qu'il  en  de- 
vra faire.  Il  peut  remonter  haut  dans  sa  race,  mais 
il  n'aura  pas  à  chercher  loin  ses  modèles.  11  lui  sera 
facile  d'être  juste  et  fort.  Heureux  Enfant  dont  la 
carrière  aura  été  aplanie  par  tant  de  sagesse,  et 
qui  trouvera  si  près  do  lui  de  puissans  et  nobles 


enseiirnemens  ! 


»  Sire  ,  daignez  permettre  au  comte  de  Paris  d'ac- 
cepter l'épée  de  la  ville  de  Paris;  et  que  ce  souve- 
nir soit  à  jamais  un  gage  d'union  entre  le  prince 
et  la  cité.  '> 

(Ce  discours  a  été  suivi  des  cris  de  f^ive  le  Roi!) 

Le  Roi  a  répondu  : 

'Je  suis  profondément  ému  des  sentimens  que 
»  vous  m'exprimez  en  termes  si  touchans  au  nom 
»  de  la  ville  de  Paris  ;  cette  grande  cité  ,  ma  ville  na- 
wtale,  sait  combien  il  m'est  doux  de  lui  témoigner 
»  en  toute  occasion  l'alVection  que  je  lui  porte  et 
»  combien  je  suis  heureux  d'obtenir  ou   plutôt  de 


—  118  — 
«conserver  celle  de  ses  habilaiis.  Je  vois  avec  une 
«fjrande  satisfaction  ma  lainille  s'identiliei  avec  la 
'  population  parisienne  ;  je  reçois  pour  mon  petil- 
"fîls  l'épée  que  lui  présente  le  corps  municipal  au 
')  nom  de  la  ville  de  Paris.  Fasse  le  ciel  qu'il  ne  soit 
»  pas  appelé  à  en  taire  usage;  mais  si  jamais  il  doit 
)  la  tirer  du  fourreau ,  ce  ne  sera  qu'à  bonne  en- 
»  seigne  et  pour  défendre  l'honneur  de  la  France  et 
«l'indépendance  nationale.  Mais  j'ai  lieu  d'espérer, 
»  et  c'est  à  quoi  je  travaille  ,  que  le  règne  de  mon 
.)  pclit-fils  ne  sera  pas  troublé  par  la  guerre,  et  qu'il 
')  recueillera  une  gloire  plus  douce,  celle  d'assurer 
»  le  repos  et  la  prospérité  de  la  Fiance.  » 

Le  Roi,  prenant  son  petit-fils  par  la  main ,  l'a 
présenté  au  corps  municipal  et  lui  a  dit  :  «  Donne 
-)  la  main  au  préfet,  en  signe  que  lu  la  donnes  à 
»  toute  la  ville  de  Paris.  » 

(Des  cris  de  vive  le  Bol  !  ont  éclaté  avec  force 
|)armi  les  membres  du  corps  municipal.) 

Cette  épée  magnifique,  remarquable  par  le  tra- 
vail de  la  ciselure  et  le  bon  goût  des  ornemcns,  a 
été  admirée  par  Leurs  Majestés  et  par  toute  la  fa- 
mille royale. 

L'épée  du  comte  de  Paris  est  d'une  longueur 
moyenne,  très  simple  à  la  première  vue,  malgré  la 
beauté  des  ornemens,  et  très  portative,  quoiqu'elle 
soit  une  arme  de  grand  luxe  et  de  grand  prix.  Elle 
est  toute  en  acier  ciselé,  poignée,  lame  et  fourreau. 
Les  ornemens  sont  en  or  et  en  pierres  précieuses. 

La  poignée  est  surmontée  d'une  couronne  royale, 


—  iiy  — 

soulenue  par  quatre  génies.  Sa  base  est  aj)puyée 
à  deux  figurines  assises  sur  la  coquille,  et  entre  les- 
quelles on  voit  un  lion  couché.  Chaque  côté  de  la 
poignée  est  rempli  par  une  figure  en  pied  ,  l'une 
représente  la  Force,  l'autre  la  Sagesse. 

Autour  de  la  garde,  et  s'appuyant  à  la  base  de  la 
poignée,  on  voit  un  serpent  d'or  enroulé.  Au  mi- 
lieu, les  couleurs  nationales  figurées  par  un  dia- 
mant, un  rubis  et  un  saphir;  au  dessus  le  coq  gau- 
lois, fièrement  perché  sur  l'anneau  tricolore;  le 
reste  de  la  garde  s'arrondit  en  une  chimère  élé- 
gamment adossée  à  la  couronne. 

Sur  la  coquille ,  entre  la  poignée  et  la  lame,  on 
a  représenté  le  comte  de  Paris  endormi  dans  son 
berceau,  lequel  est  figuré  par  le  vaisseau  emblé- 
matique de  la  ville  de  Paris ,  sous  la  garde  de  la 
Ville  et  de  la  Fortune,  avec  celte  inscription  :  Dieu 
le  conduira  ! 

Sur  le  côté  droit  de  la  lame  on  lit  :  Au  comte  de 
Paris,  sa  ville  natale,  2/4  «ou^  1838.  Plus  loin,  sur  un 
médaillon  d'or,  le  lion  de  la  guerre,  déchaîné,  s'é- 
lance dans  l'espace.  Une  suite  de  figurines  ciselées 
représente  un  char  attelé,  des  hommes  qui  com- 
battent, des  blessés  qu'on  transporte,  des  femmes 
éperdues  qui  s'enfuient,  des  prières  au  pied  des 
autels  de  la  paix. 

Urbs  dédit  patrice  prosit  ;  telle  est  l'inscription 
gravée  sur  le  côté  gauche  de  la  lame,  qui  se  termine 
en  pointe  flamboyante. 

Le  Fourreau  porte,  dans  sa  partie  supérieure  ,  \(- 


—   Î-2U  — 

cliillVe  du  coiiile  de  Paris,  composé  de  trois  leUre&, 
L.  P.  A.  (Louis-Pliilippe-Albert  )  ,  el  à  son  extré- 
mité une  tête  sur  un  fond  d'émail  damasquiné.  Le 
crochet  du  fourreau  est  formé  par  un  génie  qui 
tient  un  bouclier  sur  lequel  est  écrit  le  mot  Patrie. 
A  droite  et  à  gauclie,  dans  toute  la  longueur  de  ses 
deux  faces,  sont  ciselés  des  attributs  guerriers  et 
pacifiques,  des  génies  couronnés,  des  inslrumens 
d'agriculture,  des  casques,  des  épées,  une  palette, 
un  compas,  le  chêne  el  l'olivier  ,  des  gerbes  de  blé 
et  les  fruits  de  la  vigne,  Tous  ces  attributs  sont  sur- 
montés par  deux  génies  en  pied  :  l'Abondance  el 
la  Victoire. 

Dans  les  intentions  du  conseil  municipal,  voici 
quel  est  le  sens  allégorique  des  différentes  parties 
de  l'épée  donnée  au  comte  de  Paris  :  la  garde  si- 
gnifie la  prudence;  la  lame  est  vouée  à  la  guerre; 
le  fourreau  porte  les  emblèmes  de  la  victoire  et  de 
la  paix. 

La  boîte  qui  renferme  ce  chef-d'œuvre  de  l'art 
est  elle-même  un  beau  travail.  Elle  est  en  peau  de 
chagrin,  semée  de  clous  d'or,  avec  le  chiffre,  en  or, 
(lu  comte  de  Paris,  et  la  couronne  royale  sur  Té- 
cusson  et  sur  la  clé. 


—  1-21  — 

BANQUET  ROYAL 

Le  soir  du  baplème,  un  grund  dîner  a  élé  donné 
par  le  Roi. 

Une  immense  table  régnait  dans  toute  la  lon- 
gueur de  la  galerie  Louis-Philippe.  Sa  Majesté  y  a 
pris  place,  ayant  à  sa  droite  la  reine  des  Belges  et 
à  sa  gauche  la  duchesse  d'Orléans.  Le  roi  des  Bel- 
ges était  à  la  droite  de  la  Reine,  et  M.  le  cardinal 
évêque  d'Arras  était  à  sa  gauche  (1);  M.  le  chance- 
lier était  à  côté  de  la  reine  des  Belges,  et  M.  le  pré- 
sident de  la  Chambre  des  Députés  auprès  de  la  du- 
chesse d'Orléans  ;  M.  le  président  du  conseil  était 
à  la  droite  dé  madame  Adélaïde  (2). 

Dans  la  salle  des  Maréchaux  ,  une  autre  table  en 
fer  à  cheval  était  présidée  par  M.  le  duc  d'Or- 
léans (3),  ayant  à  sa  droite  le  ministre  des  affaires 

(1)  Son  ëininence  le  cardinal  archevêque  de  Rouen,  prince 
<le  Croï,  est  parti  aussitôt  après  les  cérémonies  du  baptême  du 
comte  de  Paris ,  pour  reprendre  le  cours  de  ses  confirmations, 
(ju'il  n'a  pas  cru  pouvoir  interrompre  plus  long-temps,  et 
auxquelles  il  s  était  arraché  pour  venir,  en  toute  hâte,  répon- 
dre à  Tinvitaiion  du  roi,  et  donner  à  Sa  Majesté,  dans  cette 
solennelle  occasion ,  un  ténioign:ige  de  son  entier  dévoù- 
ment. 

(2)  Les  cardinaux  de  Latour-d'Auvergnc  et  de  Bonald , 
monseigneur  rarchevêque  de  Paris  et  monseigneur  l'évêque 
nommé  d'Evreux  étaient  à  la  table  du  loi. 

(5)  Monseigneur  le  prince  royal  a  remisa  monseigneur  rar- 
chevêque 10,000  francs  poui-  être  distribués  aux  parcns  des 
rnlans  pauvres  qui  seront  présentés  sur  les  fonts  baptismaux, 
dimanche  et  lundi ,  dans  les  dirtéienles  paroisses  de  Paris. 


1^«2  

olrangèros,  el  le  comte  de  Uainbuleau  à  sa  gauche  ; 
par  M.  le  duc  de  Moiilpensier  et  M.  le  duc  Alexan- 
dre de  Wurtemberg. 

Dans  le  salon  de  la  Paix,  le  prince  de  Joinville 
présidait  une  troisième  table  ,  ayant  à  ses  côtés 
M.  l'amiral  Duperré  et  M.  le  maréchal  Valée. 

Les  trois  tables  formaient  une  réunion  de  850' 
couverts. 

Les  bureaux  des  deux  chambres,  les  ministres, 
les  maréchaux,  les  colonels  el  les  lieutenans-colo- 
nels  de  la  garde  nationale  et  de  l'armée,  M.  le  ma- 
réchal Gérard,  M.  le  lieutenant-général  Jacque- 
minot  et  leur  état-major,  les  maires  et  les  adjoints 
de  la  ville  de  Paris,  tous  les  membres  du  conseil 
municipal,  le  préfet  de  la  Seine  el  le  préfet  de  po- 
lice ,  l'état-major  de  la  garde  municipale  ,  etc.  , 
avaient  été  invités  à  ce  banquet,  fjui  a  duré  jusqu'à 
sept  heures. 

A  huit  heures,  le  Roi  a  paru  au  balcon  de  la 
salle  des  maréchaux,  entouré  de  la  famille  royale. 
Sa  Majesté  a  été  saluée  par  une  foule  immense  qui 
se  pressait  sous  les  fenêtres  du  palais.  Le  jardin 
était  magnifiquement  illuminé.  Le  plus  beau  temps 
favorisait  la  fête. 

A  neuf  heures,  un  beau  feu  d'artifice  a  été  tiré 
à  la  fois  sur  le  quai  d'Orsay  et  sur  le  pont  de  la 
Concorde  ;  lorsque  le  Roi  s'est  montré  à  la  fenêtre 
du  premier  étage  donnant  sur  le  quai,  afin  de  don- 
ner le  signal  du  feu,  de  vives  acclamations  ont  ac- 
cueilli sa  présence. 


—  J23  — 

La  fêle  a  continué  toute  la  soirée  dans  les 
(Champs-Elysées  ,  sur  la  place  de  la  barrière  du 
Trône  et  le  long  des  boulevarts,  et  s'est  prolongée 
jusque  dans  la  nuit,  sans  qu'aucun  accident,  sans 
(ju'aucun  désordre  soit  venu  troubler  cette  grande 
et  magnifique  solennité. 


CONCERT   DU  LOUVKE. 

Soirée  du  6  mai  18-41. 

Le  grand  concert  annoncé  dans  le  programme 
des  têtes  du  baptême  a  été  exécuté  ce  soir,  dans  ht 
grande  galerie  du  Louvre  consacrée  à  l'exposition 
des  ouvrages  des  artistes  vivans. 

C'est  une  idée  qui  a  pu  être  très  justement  con- 
troversée que  celle  de  placer  un  orchestre  de  qua- 
tre cents  musiciens  à  l'extrémité  d'une  longue 
galerie  ,  de  manière  que  les  auditeurs  placés  au 
premier  rang  pouvaient  courir  le  risque  d'être 
étourdis  par  le  bruit ,  tandis  que  les  derniers  venus 
auraient  été  à  trois  ou  quatre  cents  niètres  de  dis- 
lance. Mais  ce  qui  répond  à  ces  critiques,  c'est  que 
le  concert  du  Louvre  a  parfaitement  réussi.  Le  soin 
qu'on  avait  eu  d'élever  l'orchestre  sur  un  amphi- 
théâtre de  quarante  gradins  ,  la  puissance  des 
moyens  dont  il  disposait,  l'éclat  des  voix  et  la  lorce 
des  chœurs,  le  choix  habilement  concerté  des  mor- 
ceaux qui  devaient  être  exécutés  ou  chantés,  tout, 
en  un  mot,  a  concouru  à  ce  succès  ;  et  si  on  ne  peut 


—  144  — 
pas  dire,  inènie  après  celle  épreuve,  que  la  galerie 
(in  [.ouvre  soit  une  salle  de  conceii  irréprochable, 
on  n'en  rendra  pas  moins  juslice  à  la  pensée  qui  a 
présidé  à  la  fêle.  C/élait  une  pensée  toute  favorable 
aux  arts,  mais  où  seulement  les  intérêts  de  la  pein- 
ture ont  dû  être  plus  consultés  que  ceux  de  la  mu- 
sique. 

Disons  donc  que  la  fête  du  6  mai  a  été,  dans  l'in- 
tention même  qui  l'a  conçue,  la  fête  de  la  peinture, 
et,  tout  en  rendant  hommage  à  la  musique  qui 
avait  là  des  compositeurs  et  des  artistes  d'un  grand 
talent  pour  la  représenter  avec  honneur,  tout  en 
lui  rendant  celte  justice,  laissons-la  sur  le  second 
plan.  Elle  n'était  pas  l'héroïne  de  la  fête  ;  elle  n'é- 
tait qu'une  invitée  dans  le  palais  de  la  peinture  :  on 
l'y  a  reçue  en  étrangère  de  distinction,  mais  non 
})as  en  reine.  Ce  n'était  j)as  ptiur  elle  seule  que 
])rillaient,  sous  celle  voûte  étincelanle,  des  milliers 
de  bougies,  comme  des  étoiles  dans  un  ciel  d'été. 
Ce  n'était  pas  pour  elle  seule  que  le  velours  et  la 
soie  ruisselaient  sur  les  gradins,  et  que  les  lambris 
éclataient  d'or.  Non,  tout  cet  éclat  ,  tout  ce  luxe, 
toute  cette  pompe  royale,  n'étaient  pas  exclusive- 
menl  pour  la  musique;  celle  foule  n'était  pas  venue 
seulement  pour  entendre,  mais  pour  voir.  El  vrai- 
ment on  ne  se  lassait  pas  de  voir  et  d'admirer  ;  car 
le  spectacle  était  magnifique. 

Imaginez,  en  ellel  ,  un  espace  de  cinq  cents  mè- 
tres de  long  sur  quinze  de  large,  s  étendant  sans 
interruption  depuis  le  grand  salon  carré    jusqu'à 


—  1^5  — 

la  porte  qui  sert  do  communication  avec  les  Tuile- 
ries ;  sous  les  voûtes  de  celte  immense  galerie  ,  deux 
longues  rangées  de  lustres,  au  nombre  de  plus  do 
deux  cents,  supportant  quinze  cents  lampes  et  j)lus 
de  quatre   mille  bougies  ;  le  long  des  murs,  d'un 
côté,    toule   l'exposition  de  18^1  ;   de  l'autre,  l(\s 
grandes  et  immortelles  écoles,   devancières  et  ri- 
vales  de  la   nôtre;    et  tous    ces  tableaux,  jeunes 
ou    vieux  ,   inondés  de  lumière  ,   éclatant    d'bar- 
monie,  et  renvoyant  à  cette  atmosplière  radieuse, 
par   le    prestige    de    la  couleur    ou    l'or    étince- 
lant  des  cadres  ,  une  partie  de  l'éclat  qu'ils  en  ont 
reçu  ;  —  au  milieu,  une  multilude  brillante  ,  tous 
les  costumes   de  l'Europe,   tous  les  uniformes  de 
notre  armée,  les  broderies  des  diplomates  et  des 
politiques,  les  plus  belles  parures,  les  atours  les 
plus  élégans,  les  plus  riches  toilettes,  les  plus  no- 
bles et  les  plus  beaux  visages  ,  et  toute  cette  foule 
s'écoulant  sans  obstacle  et   sans   confusion  entre 
deux  rangées  de  banquettes  où  plus  de  liuit  cents 
dames  sont  assises  ;  —  au  fond,  l'immense  orches- 
tre adossé  au  grand  salon,  et  du  haut  de  cet  amphi- 
théâtre où  sont  établis  trois  cents  musiciens  instru- 
mentistes et  cent  chanteurs,  une  harmonie  macfni- 
fique   qui  semble  couler  à  pleins  bords  dans  cette 
vaste  galerie  ,  qui  se  répand  à  grande  distance  et 
qui  domine  au  loin  la  foule  et  le  bruit  :  —  tel  est 
Taspect  général  de  la  fête.  Mais,  je  le  répète,  ce  ne 
sont  pas  les  nmsiciens  qui  en  sont  les  héros;  ce  ne 
sont  pas  les  grands  seigneurs  de  la  diplomatie,  de 


—  12(>  — 
la  j)()lilique  ou  ilt>  la  finance  ;  co  ne  soûl  pas  mémo 
les  femmes  ;  elles  auront  leur  lour  et  sauront  pr':»n- 
dre  leur  revanche  :  les  héros  de  la  fêle,  ce  sont  les 
peintres.  C'est  pour  les  honorer  que  le  roi  a  réuni 
ce  grand  monde  ,  suspendu  ces  lustres  étincelans, 
semé  de  lumière  cet  immense  espace,  et  déchaîné 
ce  monslre  aux  cent  voix  qui  semble,  du  haut  de 
ce  trône  d'harmonie  ,  proclamer  la  gloire  de  la 
peinture. 

J'aime,  quant  à  moi,  les  expositions  de  nuit, 
mais  à  une  condition,  c'est  qu'il  y  fera  plus  clair 
que  le  jour.  Je  ne  suis  donc  pas  de  l'avis  d'un  plai- 
sant qui ,  consulté  sur  l'effet  de  celte  illumination  , 
dit  qu'il  aimait  beaucoup  à  voir  ainsi  les  tableaux 
modernes. 

—  Pourquoi  cela?  lui  demanda  quelqu'un. 

—  Parce  que  je  les  vois  moins. 

—  Je  trouve,  au  contraire,  que  les  tableaux  ga- 
gnent à  être  vus  de  cette  façon. 

C'est  un  procédé  anglais  que  le  roi  a  transporté 
en  France  ,  et  qui  ne  peut  en  effet,  tant  il  est  dis- 
pendieux, être  employé  avec  succès  que  par  un  roi 
ou  un  lord  anglais.  Les  Anglais  se  servent  de  ré- 
flecteurs immenses  qui  ,  placés  devant  chaque  ta- 
bleau, et  laissant  le  milieu  de  la  salle  ou  de  la  ga- 
lerie d'exposition  dans  l'obscurité,  produisent  un 
effet  double  de  celui  qu'on  peut  atteindre  en  distri- 
buant la  lumière  avec  plus  d'égalité  dans  un  grand 
espace.  Mais  imagine-t-on  une  fêle  éclairée  par  des 
réflecteurs?  Le  roi ,  mieux  inspiré  ,  a  voulu  que  l'ex- 


—  127  — 

position  do  1841  eût  sa  fête  de  nuit ,  et  l'éclairage  a 
été  combiné  de  manière  à  faire  valoir  tous  les  ta- 
bleaux,  depuis  les  pins  grandes  toiles  jusqu'aux 
plus  humbles  miniatures,  et  cela  sans  transformer 
le  Musée  en  un  casse-cou.  Le  jour  de  l'inaugura- 
tion du  Musée  de  Versailles  ,  au  moment  où  la 
nombreuse  assemblée  qui  avait  été  invitée  au  spec- 
tacle sortit  de  la  salle  ,  qui  était  éblouissante  de 
lumière ,  elle  trouva  toutes  les  grandes  galeries  il- 
luminées. C'était  un  premier  essai;  il  réussit  moins 
que  celui  qui  vient  d'être  tenté.  Aujourd'hui  les  ta- 
bleaux du  Louvre  brillaient  dans  une  lumière  plus 
éclatante  et  mieux  distribuée.  On  eût  dit  une  expo- 
sition toute  nouvelle  ,  lantles  rayons  scintillans  de 
ces  mille  bougies  jouaient  avec  bonheur  sur  toutes 
ces  toiles  ranimées  et  rajeunies  ;  tant ,  sur  ces  pein- 
tures, les  yeux  brillaient,  tant  les  bouches  par- 
laient, tant  les  cœurs  palpitaient  de  joie,  d'espé- 
rance, de  crainte,  d'anxiété,  au  milieu  de  toutes 
ces  scènes  si  diverses  de  l'histoire  et  de  la  vie  pri- 
vée; tant  cette  grande  douleur  du  Supplicié  de  1*1  n- 
quisition  était  poignante  à  côté  dvî  cette  douce  et 
royale  sérénité  d'une  jeune  princesse  ;  tant  la  lu- 
mière pénétrait  vive  et  radieuse  au  sein  de  C Assem- 
blée des  Notables,  qui  semblaient  assister  là  moins 
au  conseil  qu'à  la  fête;  en  un  mot,  tant  il  y  avait 
d'air,  de  fraîcheur,  de  poésie ,  de  verdure  ,  de  tran- 
quilles émotions  dans  tous  ces  paysages  qui  éta- 
laient, à  côté  des  pagrs  d'histoire,  la  richesse  de 
leurs  campagnes,   lu   beauté  do  leurs  ombrages  et 


—  lis  — 

la  vnriél('  do  leurs  j3erspeclivos.  h)  parle  des  bons 
lableaux.  Quant  aux  mauvais  ,  la  fêle  n'était  pas 
pour  eux  ;  mais  ils  avaient  leur  part  de  la  lumière 
tout  comme  les  bons  ,  et  la  lumière  leur  prêtait  gé- 
néreusement son  prestige;  et  les  yeux  des  specta- 
teurs se  portaient  sur  eux  ,  étonnés  de  s'y  arrêter. 
Le  concert  du  6  mai  était  un  jour  de  gloire  pour  la 
bonne  peinture  et  d'amnistie  pour  la  mauvaise  ! 

Je  voudrais  nommer  tous  les  peintres  qui  ont 
obtenu,  dans  cette  soirée,  une  des  plus  douces  ré- 
compenses qui  puissent  être  ambitionnées  par  des 
artistes  dignes  de  ce  nom,  l'attention  curieuse  et 
passionnée  d'un  public  clioisi  :  Eugène  de  Lacroix, 
Amaury  Duval,  Aligny  ,  Ciorot ,  Granet,  Gudin , 
LeuUier,  Renoux  ,Wickemberg,  Decaisne,  Bouton, 
Marilbat ,  Biard  ,  Calanie  ,  Rémond,  Gailait,  Lepoi- 
tevin  ,  Henri  SchefTer,  Bellangé,  Jadin  ,  Paul  Fian- 
drin,  mademoiselle  Lafond,  Marzoccbi;  mais  com- 
bien j'en  passe  1  presque  tous  étaient  là.  Aucun  des 
invités  n'avait  voulu  manquer  à  l'appel.  C'était  la 
fête  de  l'art ,  et  un  roi  en  faisait  les  bonneurs  ! 

Sa  Majesté  est  entrée  dans  la  galerie  du  Louvre 
à  huit  heures  précises.  La  reine ,  le  roi  et  la  reine 
des  Belges,  iVL  le  duc  et  madame  la  duchesse  d'Or- 
léans, madame  la  duchesse  de  Nemours,  madame 
la  princesse  Adélaïde  ,  madame  la  princesse  Clé- 
mentine,  M.  le  [)rince  de  Joinville  ,  M.  le  duc  de 
Monlpensier,  M.  le  duc  Alexandre  de  Wurtemberg 
et  Leurs  Altesses  Royales  les  infans  et  les  infantes 
d'Espagne  ,  accompagnaient  Sa  Majesté. 


—  129  — 

La  foule,  qui  remplissait  déjà  les  dernières  tra- 
vées de  la  grande  galerie ,  s'est  respectueusement 
ouverte  sur  le  passage  du  roi.  Cette  foule  se  compo- 
sait de  l'élite  de  Paris  :  maréchaux,  ministres, 
pairs ,  députés  ,  magistrats  ,  savans  ,  hommes  de 
lettres  ,  artistes  ,  négocians  ,  les  chefs  de  l'armée  et 
de  la  garde  nationale  ,  l'administration  ,  les  muni- 
cipalités; tous  étaient  en  costume,  hormis  les  dépu- 
tés qui  portaient  le  frac  noir.  Les  ambassadeurs . 
les  ministres  plénipotentiaires  et  les  dames  appar- 
tenant au  corps  diplomatique,  avaient  une  place  ré- 
servée à  droite  et  à  gauche  en  avant  de  l'orchestre. 
Les  sièges  destinés  à  Leurs  Majestés  et  à  la  famille 
royale  faisaient  face  à  l'amphithéâtre  adossé  au  sa- 
lon carré.  Derrière  Leurs  Majestés  étaient  assises  les 
femmes  des  maréchaux ,  celles  des  ministres ,  les 
dames  de  la  reine  et  des  princesses;  sur  les  ban- 
quettes à  la  suite  ,  jusqu'à  la  seconde  travée  ,  dans 
un  espace  de  près  de  deux  cents  mètres,  toutes  les 
dames  invitées. 

Le  Roi  s'étant  assis,  le  concert  a  commencé.  En 
voici  le  programme  : 

PREMIÈRE  PARTIE. 

1"  Ouvorlure  de  la  Gazza  Ladra,  de  Rossini. 

2°  Fragmens  de  la  Création  du  Monde ^  oratorio  de  Haydn. 
(Les  solos  chantés  par  mesdames  Dorus-Gras  ,  Rossi ,  Nau, 
Thillon,  Dobré,  Heinefetler,  Laty,  Elliau;  MM.  Diiprez ,  Pon- 
chard,  Dupont,  M;\ssol,  Marié,  Levasseur,  Baroilliet,  Dérivis 
et  Alizard.  )  1"  Dieu  lira  du  néant.  ^'^  Surprise  d'un  pouvoir 
si  grand.  3"  Grand  Dieu  !  sur  toi  sont  tous  les  yeux.  i°  Bril- 

9 


—  150  — 

Utnl  de  grâce  el  de  beaulé  fclianté  par  M.  Diipro/  ).  >  La  Terre 
el  le  Ciel. 

SECONDE    PARTIE. 

5"  Onv(Miure  (Vlplngênic  en  Aiilide  ,  de  Gluck, 
A"  Sc<"'nc  et  chœurs  {Vlphigênie  en  Tauride ,  de  Gluck.  (Le 
solo  chanté  par  M.  Massol.  ) 
5"  Fragmens  d'une  symphonie  de  Haydn. 
r>"  Chœur  iVAimide  {Jamais  dans  ces  beaux  lieux),  de  Gluck. 
7"  Ouverlure  du  Jeune  Henri.,  <le  Méhul. 
8"  Fragmens  de  V oratorio  de  Judas  Machabée,  de  Haendel. 

Dans  rinlervalle  des  deux  parties.  Leurs  Majestés 
se  sont  levées  el  ont  entrelerui  les  dames. 

Après  le  concert,  qui  a  fini  à  dix  heures  et  demie, 
le  Roi  et  la  Famille  royale  se  sont  retirés  par  la  ga- 
lerie de  bois  ,  le  Salon-Carré,  la  galerie  d'Apollon, 
et  sont  sortis  du  Louvre  par  la  porte  d'Henri  IV, 
où  leurs  voitures  les  attendaient.  Au  moment  où  le 
Roi  a  quille  la  salle  du  concert,  de  vives  acclama- 
tions se  sont  fait  entendre  et  ont  long-temps  re- 
tenti sous  l'immense  voûte. 

La  fête  a  continué  jusqu'à  minuit,  sans  qu'un  seul 
accident  ait  troublé,  au  dedans  ou  au  dehors,  l'or- 
dre qui  n'a  pas  cessé  de  régner  dans  cette  immense 
réunion,  où  tout  avait  été  royalement  concerté 
pour  assurer  une  magnifique  réception  aux  repré- 
scntans  de  la  grande  ville,  pour  honorer  les  arts 
qui  font  sa  gloire,  et  pour  joindre  un  souvenir  du- 
rable à  tous  ceux  de  la  religieuse  el  nationale  céré- 
monie qui  a  donné  rinvesliture  chrétienne  au  se- 
cond héritier  de  la  dynastie  ! 


loi  — 


CONCLLSION. 


Ainsi,  comme  on  le  voit  d'après  le  compte  reniiii 
des  iétes  et  des  cérémonies  qui  ont  accompagné 
la  naissance  et  le  baptême  du  comte  de  Paris,  de 
toutes  parts  l'espérance  et  les  vœux  de  la  nation 
se  donnent  rendez-vous  au  berceau  de  cet  auguste 
Enfant.  Lorsque,  l'âge  venu,  il  pourra  apprécier 
le  caractère  et  les  hautes  destinées  de  ce  peuple 
dont  il  doit  un  jour  devenir  le  chef,  il  puisera 
dans  ces  témoignages  de  sympathies,  dans  ces 
espérances  qu'il  a  éveillées,  ces  nobles  élans  de 
l'âme  qui  font  deviner  les  grandes  choses,  ce  dé- 
voûment  et  cet  amour  pour  la  patrie  qui  sont  l'apa- 
nage de  sa  famille. 

Nos  prévisions,  nos  souhaits  trouveront  de  l'écho, 
nous  n'en  douions  pas,  sur  celte  terre  généreuse 
de  France  où  les  vertus  sociales  ont  toujours  fleuri, 
où,  de  quelque  bouche  qu'ils  fussent  sortis,  les  vœux 
pour  la  gloire  et  la  prospérité  de  la  nalioîi ,  pour 
la  grandeur  personnelle  de  son  chef,  ont  toujours 
rencontré  de  la  sympathie.  A  quelque  parti  d'ail- 
leurs que  l'on  appartienne,  je  ne  crois  pas  que  les 
haines  politiques  ne  viennent  pas  expirer  aux  bords 
d'un  berceau,  et  qu'il  soit  un  cœur  assez  peu  fran- 
çais pour  appeler  des  malédictions  sur  la  tète  d'un 
enfant. 

Qu'il  croisse  donc  co  jeune  comte  de  Paris  et 
qu'il  soit  lier  à  jamais  de  ce  litre  !  Paris,  qui  mar- 


—  15-2  — 

che  à  la  tête  de  la  civilisation,  et  seconde  la  ten- 
dance des  peuples  vers  un  meilleur  avenir;  Pa- 
ris, nouvelle  Athènes,  où  les  arts  ont  leur  culte 
et  le  génie  des  autels  ;  nouvelle  Rome ,  toute  parée 
de  l'éclat  de  ses  triomphes  et  de  sa  gloire.  Qu'il 
s'enorgueillisse  aussi  de  son  épée  :  elle  est  no- 
ble, elle  sera  glorieuse;  elle  rappellera,  au  besoin, 
celle  que  les  Eudes  et  les  Robert  trempèrent  plus 
d'une  fois  dans  le  sang  des  Normands.  Si  jamais 
l'ennemi  de  la  France  !  !...  Paris,  alors,  verrait  ce 
que  sait  faire  l'épée  de  ses  anciens  comtes. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Dédicace.  5 

PREMIÈRE  SÉRIE. 

Sommaire. 

Différences  qui  existent  entre  les  comtes  de  nos  jours  et  les 
comtes  de  la  féodalité.  —  Motifs  qui  peuvent  nous  porter 
à  nous  occuper  des  anciens  comtes,  et  en  particulier 
des  comtes  de  Paris.  —  Coup  d'œil  sur  l'organisation 
administrative  et  municipale  des  Gaules,  à  l'époque  de 
l'invasion.  7 

DEUXIEME  SÉRIE. 

Sommaire. 

Origine  du  comté  de  Paris  ,  sa  nature.  —  Étendue  de  sa  ju- 
ridiction. —  Les  comtes  de  Paris,  par  leur  position,  du- 
rent devenir  une  puissance  rivale  de  la  royauté.  — 
Causes  qui  s'opposèrent  à  leur  élévation. —Ces  causes 
disparaissent  à  la  fln  de  la  seconde  race  ,  qu'il  s'opère 
un  changement  dans  la  position  des  comtes  de  Paris  ; 
étendue  de  leur  puissance.  —  La  royauté  ne  pouvant 
exister  à  côté  d'eux,  ils  deviennent  rois.  —Comment  fut 
amenée  cette  fusion  de  la  puissance  des  comtes  avec  la 
royauté.  —  Extinction  du  flef.  35 

TROISIÈME  SÉRIE. 

Sommaire. 

iXaissance  dr  Louis -Philippe- Albert  d'Orléans.  —Lu  Roi, 
son  grand-père  ,  lui  confère  ,  immédia tcmenl  après  qu'il 


—  loi  — 

t'hl  uv  ,  le  litre  de  Comte  de  Paris. —  Keiiaissanct'  de  vc 
titre.  —  Scène  de  famille. —L'acte  de  naissance  est  ré- 
digé. —  Le  maréchal  comte  Gérard  et  le  maréchal  comte 
Lobeau  y  assistent  comme  témoins. —  L'archevêque  d(! 
Paris ,  monseigneur  de  Quélen ,  se  rend  aux  Tuileries 
pour  ondoyer  l'Enfant  royal  nou\eau-né.  —  La  ville  de 
Paris  vote  des  réjouissances  publiques  en  l'honneur  de 
ces  événemens.  —  Le  Roi  fait  distribuer  d'abondans  se- 
cours. —  Discours  de  M.  le  comte  de  Rambuteau  ,  préfet 
de  la  Seine.  —Réponse  du  Roi.  —Laps  de  temps  qui  s'é- 
coule entre  la  naissance,  l'ondoyement  elles  cérémonies 
du  baptême.  — Lettre  du  ministre  des  cultes  aux  évèques 
du  royaume,  à  l'occasion  de  la  fête  du  Roi  et  du  bap- 
tême de  son  petit-fils.  —Lettre  de  monseigneur  l'arche- 
vêque de  Paris  à  tous  les  curés  de  son  diocèse ,  sur  le 
même  sujet.  —  Fête  du  Roi.  —  Article  du  }Tonitcur.  — 
Grande  réception  à  la  cour  à  l'occasion  de  la  fête  du 
Roi  et  du  baptême  du  comte  de  Paris.  —  Réception  de 
monseigneur  l'archevêque  de  Paris  et  de  son  clergé.  — 
Discours  de  monseigneur  l'archevêque. —Réponse  du 
Roi.  —  Grâces  accordées  par  le  Roi.  —  Notice  siu"  les  bap- 
têmes des  fils  et  des  petits-fils  des  Rois.  —Son  Altesse 
Royale  madame  la  duchesse  d'Orléans,  avec  son  fils, 
le  comte  de  Paris,  visite  la  salle  d'asile-modèle  de  la  ca- 
pitale. —  Extrait  du  Moniteur  Parisien  sur  cette  royale  et 
intéressante  visite.  —  Baptême  du  comte  de  Paris.  — Le 
préfet  de  la  Seine  remet  au  comte  de  Paris  l'épée  qui 
lui  est  offerte  par  la  ville  de  Paris.  —  Banquet  royal.  — 
Concert  du  Louvre.  71 

(Conclusion.  131 


CATALOGUE 

Des  principaux  livres  et  recueils  d'actes  imprimes  qui   ont  servi  h 
composer  cet  Essai  sur  les  Comtes  de  Paris. 


Les  cinq  volumes  des  Écrivains  de  France,  de  Diichêne. 

[m  Diplomatique  et  son  supplément. 

L\4rl  de  vérifier  les  dates. 

Les  Annales  des  Francs,  du  père  Lecointe. 

Thesoi-umanecdolorum,  de  dom  Martène. 

Colleclio  amplissima,  du  même. 

Histoire  de  Paris,  de  Corrozet,  de  dom  du  Breul,des  RR.  PP. 

dom  Lobineau  et  Felibien  ,  et  autres,  comme  Piganiolet, 

l'abbé  Lebœuf. 
Gallia  chrisliana ,  ancien, 
Nolilia  galliarum,  d'Hadrien  de  Valois. 
Les  Tables  chronologiques  des  ordonnances,  par  Blanchard. 


J'omets,  dans  ce  catalogue,  quelques  livres  de  mélange  et 
de  mémoires  qu'il  a  été  également  besoin  de  lire  pour  recti- 
fier et  des  dates  et  des  sentimens. 

J'omets  aussi  plusieurs  livres  géographiques  et  quelques 
journaux,  comme  le  Moniteur  universel,  le  Journal  des  Dé- 
bats, etc. 


Ou  fti4^fftM^   anteui* 


■■nucMB'»— 


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F.SS 


m  vitm  ^  mmlm  m  mu 


SAISÎT  »E]¥T^  In^fin'i^  Wgr  AFFRi: 


oali'îogm^hisloiiquo  ekchronolcgicfjie  des  doyens  de  i'e- 

atliopolitaiiie  de  Paris,  des  abbés  réguliers  et  commcndn- 

tîtrs,  ahbcsses-,  prieurs  et  .«upérîours  généraux  des  abbaye^;  ou 

ongri gâtions  dos  archi-di;.  •  aîrcs-généraux,  *upérlenrs 


^3i^  imùxa 


i  ï»rj)FfT  nf-  i.'(^:!)vnr  df.s  pR^.TnF.s  ï^fiumf.*^ 


riir«irHi 


UVK-l»Bà-BONS-CNFANS,    S, 


--(Çr\rt^fÇ,j<